Introduction
Qu’ils prodiguent des soins de première ligne ou qu’ils prennent part à la formulation et à la planification des politiques, les praticiens de la santé publique sont des décideurs. Il s’agit de personnes formées et qualifiées pour prendre des décisions visant à prévenir et à contrôler les maladies, de même que les conditions qui conduisent à la maladie et à la mort. Les professionnels de la santé publique et les organismes gouvernementaux avec lesquels ils collaborent doivent ainsi établir les priorités de la recherche en santé et des investissements dans des interventions en matière de santé publique (Lajoie, 2015). Il importe que ces décisions s’appuient sur une compréhension de ce qu’est la « charge » (« burden ») d’une maladie, c’est-à-dire « le devoir, l’obligation et les frais » (« duty, obligation, and expense », selon la définition de l’Oxford English Dictionary, 1995) qu’elle occasionne pour la société ainsi que pour les particuliers touchés. On peut considérer la charge de la maladie comme la pierre angulaire de la prise de décision relative à la santé des populations. Les décideurs en santé publique à tous les niveaux y ont recours pour décrire et tenter de comprendre les questions sur la santé à l’échelle de populations données, en vue d’établir l’ordre de priorité des problèmes remédiables et qui contribuent à la charge des maladies.
La « charge des maladies » est en effet un terme omniprésent qu’on trouve au sein de la population et dans la documentation sur la santé publique malgré le fait qu’il soit si rarement défini qu’on pourrait penser qu’il s’agit d’une notion ordinaire et insignifiante. Le fait que le terme soit souvent précédé de l’article défini « la », c’est-à-dire « la » charge des maladies, incite à penser qu’il correspond à une notion claire et uniforme, et qu’il existe un consensus quant à sa signification et à son utilisation. Toutefois, il n’est pas rare de trouver des manuels scolaires sur la population et sur la santé publique qui ne comprennent pas la charge des maladies parmi les notions de base nommées et définies, malgré le fait que l’étude de l’Organisation mondiale de la santé (OSM) sur la charge mondiale de morbidité (CMM) soit souvent mentionnée et que l’on définisse la mesure agrégée adoptée dans ce cadre, soit les années de vie ajustées en fonction des incapacités (AVAI) (Donovan et autres, s. d.; Starfield, 2001; Young, 2004). Cette approche est certes bien exposée dans la documentation sur la santé des populations, mais la signification que les auteurs attribuent au terme charge devient moins claire lorsqu’ils ne font pas référence aux travaux réalisés aux fins de l’étude sur la CMM. D’ailleurs, des chercheurs de diverses disciplines ont fait valoir que le modèle biomédical et les mesures quantitatives ne permettent pas à eux seuls d’appréhender la charge véritable. Qui plus est, les mesures agrégées et les moyennes peuvent masquer de graves disparités au sein des populations, surtout lorsque la présence d’importantes inégalités rend certains secteurs de la population particulièrement vulnérables à la maladie.
Reconnaissant ces besoins en matière d’information, de défi et de contexte, le Centre de collaboration nationale des maladies infectieuses (CCNMI) a préparé un exposé de concept comme point de départ à l’examen critique de la charge des maladies tout en se fixant comme objectif à plus long terme l’élaboration d’un cadre qui dirigerait la formulation d’indicateurs transparents, justes, significatifs et pratiques de la charge des maladies. Le concept de la charge des maladies y est examiné sur un plan général, mais s’y greffe une réflexion sur les aspects particuliers à prendre en compte lorsqu’il est question de la charge des maladies infectieuses. Le but du présent exposé est de créer une sensibilisation plus large aux « charges » possibles et d’amorcer des discussions chez les experts d’indicateurs de la santé des populations, les théoriciens qui s’intéressent à l’enchaînement de causalité, les spécialistes de l’éthique médicale et les praticiens de première ligne en santé publique. La première tâche est de sonder et de schématiser la notion conceptuelle de la charge des maladies, d’en arriver à une connaissance approfondie et large de la signification qu’on a conférée à ce terme au fil du temps, et d’étudier des exemples d’application courante dans le domaine de la recherche et des politiques. Cela permettra de dégager une série d’omissions et de questions qui ne sont pas abordées, mais qu’on pourrait intégrer dans un cadre plus général de la charge que celles qu’on applique ordinairement. Le CCNMI invite ses lecteurs à se joindre à ce travail fondamental et surtout à son application aux maladies infectieuses en santé publique. Les observations et les commentaires seront accueillis avec intérêt.
« La » charge des maladies : Quelle charge et qui sont les personnes touchées?
La charge étant un repère crucial dans la prise de décision en matière de santé publique, on ne peut se contenter d’une approche opportuniste qui la définirait en fonction de ce qui se prête facilement à la mesure ou en suivant simplement la position avancée par ceux qui s’expriment avec le plus d’éclat parmi une diversité de voix. La volonté de fonder la charge des maladies sur des données probantes et de procéder à des évaluations qui gagnent en cohérence et en rigueur a engendré un grand nombre de mesures agrégées. On a largement recours aux mesures agrégées de la santé des populations, car elles fournissent des représentations intelligibles de l’épidémiologie complexe et sont ainsi susceptibles d’accélérer l’élaboration de stratégies de prévention et de contrôle des maladies. Murray et ses collègues décrivent tout un éventail d’objectifs visés par les mesures agrégées de la charge des maladies. On peut en effet les utiliser pour :
• tenir compte des changements dans la santé d’une population,
• comparer l’état de santé d’une population à celle d’une autre,
• recenser et quantifier l’ensemble des inégalités en matière de santé au sein des populations,
• équilibrer l’attention portée aux effets des problèmes de santé non mortels,
• fournir des données aux fins d’analyses rentables,
• améliorer des programmes d’études,
• éclairer les priorités en matière d’investissement dans la recherche,
• et éclairer les priorités au chapitre des services de la santé à l’aide d’information sur des maladies précises et sur les contributions aux facteurs de risque (Murray et autres, 2000).
Des thèmes communs qui découlent de ces objectifs sont le besoin d’information qui permet d’établir des comparaisons justes, de déterminer l’ordre de priorité des indicateurs, d’utiliser les ressources judicieusement et de mettre à l’essai les hypothèses de causalité. De façon générale, les mesures de la charge fournissent un éclairage utile à la prise de décision et à l’adoption de mesures ciblées dans le domaine de la santé publique. Toutefois, il faut bien en comprendre les éléments fondamentaux et savoir de quel type d’information les décideurs ont principalement besoin.
Pour vérifier s’il y a adéquation entre les besoins en matière de santé publique et les mesures de la charge des maladies, on pourrait commencer en se posant la question suivante : quelle information de base escompte-t-on obtenir grâce à ces mesures? La charge des maladies devrait vraisemblablement fournir de l’information sur la fréquence et la gravité des affections, en vue d’en évaluer les retombées comparativement à d’autres priorités concurrentes. Il est entendu qu’il est insuffisant de se limiter à l’information relative à la fréquence, car plusieurs maladies telles que le rhume banal sont bénignes et autolimitées. Cependant, on peut se demander si les effets causaux ou médiateurs des maladies infectieuses bénignes sur d’autres conditions sont assez bien compris pour qu’on se dispense tout à fait d’en considérer la charge. Il subsiste en outre une incertitude concernant la capacité du jugement clinique de déterminer quelles maladies ont des effets anodins, s’il ne prend pas en compte le vécu complexe et bien réel des personnes atteintes, comme ces hommes et ces femmes qui souffrent d’infections bénignes mais récurrentes. De même, il n’est pas suffisant de s’en tenir aux connaissances relatives à la gravité de la maladie. Les responsables de la santé publique pondèrent cette information avec celle qui se rapporte à la fréquence du diagnostic au sein de la population. Certains se demanderont s’il en est vraiment ainsi en pratique, alors que les priorités en matière de santé publique semblent répondre à des inquiétudes qui se rapportent à la gravité perçue, ou encore à la fréquence et à la gravité de la maladie dans d’autres pays, même si certains d’entre eux diffèrent considérablement du Canada, tant à ce qui a trait aux déterminants de la santé qu’aux ressources en santé publique ayant une incidence sur l’évolution de la maladie.
Les indicateurs de la charge des maladies devraient également diriger notre attention et nos ressources vers les affections qui représentent un grand effet absolu ou relatif sur la santé des populations, car ils sont susceptibles de révéler une évolution non normative et sans précédent, ainsi qu’une amélioration ou une détérioration possible du problème. S’ajoutent dès lors des défis méthodologiques ayant des implications pratiques en ce qui a trait à la mesure de la charge, dans la mesure où l’on souhaite que les professionnels de la santé puissent déterminer le seuil à partir duquel on reconnaît une charge absolue ou évaluer les changements permettant de conclure qu’il y a détérioration.
On pourrait aussi s’attendre à ce que les indicateurs de la charge des maladies soient significatifs et réceptifs pour ce qui est des valeurs sociétales de manière à définir les affections et les retombées qui constitueraient un problème inacceptable ou injuste. Les indicateurs de la charge des maladies devraient être pratiques et faisables ou perceptibles tout en tenant compte de la situation réelle des praticiens en santé publique et de leur capacité d’observer et de mesurer les retombées sur la santé et d’en prendre connaissance. Plus que toute autre chose, on pourrait s’attendre à ce que les indicateurs de la charge des maladies soient explicites et transparents de sorte que toute personne puisse comprendre le raisonnement qui sous-tend les décisions en matière de politiques en santé publique.
Dans les contextes de santé publique actuels, l’importance d’une bonne compréhension des défis posés à la santé publique et d’un cadre directeur permettant l’évaluation de la charge des maladies n’a jamais été plus évidente. Dans une ère de compressions budgétaires, il est d’autant plus important de pouvoir évaluer la charge des maladies et se fier à ces données probantes pour nous permettre d’adopter des mesures qui offriraient les meilleurs résultats possible. De plus, puisque le système de la santé publique fonctionne au sein d’une population multidisciplinaire et que chaque discipline de cet ensemble a ses propres préceptes et hypothèses épistémologiques et étiologiques, la notion de la « charge » a un sens plus large ce qui risque d’être soit enrichissant ou apte à semer une confusion totale. De quelle charge s’agit-il et sommes-nous certains qu’il soit question de la même charge? La réponse à cette question pourrait dépendre de notre capacité de collaborer de manière efficace et de créer un cadre conceptuel qui orienterait les mesures concrètes adoptées dans le but d’atteindre les objectifs communs liés à l’amélioration de la santé des Canadiens. Enfin, on reconnaît de plus en plus que les professionnels de la santé publique travaillent au sein de populations et de collectivités dont les conditions sont inéquitables ce qui fait qu’il soit également important de définir de manière précise les personnes touchées par la charge des maladies en question et d’assurer qu’on soit clair sur le fait que les professionnels de la santé publique auraient possiblement une certaine partialité étant donné leur statut relativement privilégié. Lorsque nous affirmons que la charge des maladies apporte un éclairage susceptible d’améliorer la prise de décision, nous invitons du même souffle les responsables de la santé publique à adopter des objectifs précis et rigoureux, c’est-à-dire à planifier des mesures de la charge qui pourront révéler les inégalités sous-jacentes aux problèmes de santé et fonder des décisions qui conduiront à plus d’équité en matière de santé.
L’usage commun du mot « charge » dans la documentation de recherche sur la santé des populations
Le terme « charge » figure dans un très grand nombre d’études dont l’objectif est de quantifier les résultats en matière de santé au sein des populations. Une recherche préliminaire de titres d’articles des journaux universitaires contenant le mot « charge » a révélé que la documentation découlant des projets de recherche récents contient plein de termes et d’expressions variés et liés au mot « charge ». Bien que cet exposé vise à fournir une vue d’ensemble plutôt qu’une analyse terminologique détaillée, il est intéressant d’étudier brièvement la portée et la profondeur ou la précision des termes qui sont passés dans l’usage, la signification de certains qui semble varier de façon importante et l’application de termes semblables, parfois fusionnés, au contexte de divers domaines et disciplines.
Quoiqu’on ait trouvé que « charge des maladies » soit la variante la plus utilisée en effectuant des recherches sur le mot « charge », dans certains cas, on semble utiliser ce terme de manière interchangeable avec la Charge mondiale des maladies (CMM), un projet bien connu et mené par la Banque mondiale et l’Organisation mondiale de la santé (s. d.). On utilise souvent « charge », la forme abrégée du terme « charge des maladies » même si l’emploi de ce dernier est tout aussi courant. Le terme « charge des maladies » est utilisé dans les domaines de sociologie et d’anthropologie, et revête une signification plus englobante de l’expérience sociale et subjective. Souvent, « coût des maladies » renvoie à une analyse économique, bien qu’on semble aussi utiliser « coût » au sens plus générique ce qui fait que sa signification pourrait être synonyme de « charge ». On emploie couramment les adjectifs « physique », « économique » et « sociale » pour décrire la charge et cela nous laisse croire que celle-ci est envisagée selon trois catégories distinctes. Le terme « charge sociale » semble figurer moins souvent dans la documentation. Certains spécialistes en sciences sociales (Jones et Williams, 2004), préoccupés par la faible connaissance qu’en ont les professionnels de la santé publique et par l’usage fautif qu’en font certains économistes qui n’y voient que le « coût économique des maladies au niveau de la société », ont fait valoir la nécessité d’en arriver à une définition claire de ce terme.
On associe la « charge biomédicale » avec l’utilisation des indicateurs liés à la mortalité et à la morbidité de la santé des populations, malgré le fait que ce terme pourrait être utilisé plus souvent par les personnes des disciplines à l’extérieur de la biologie et de la médecine que par celles qui en font partie, plus précisément lorsqu’il s’agit de la critique d’évaluations restreintes de la santé des populations (Ariana, 2012; Jones et Williams, 2004). Le terme « double charge des maladies » renvoie à une hypothèse selon laquelle les pays en voie de développement font preuve d’une transition épidémiologique retardée qui se caractérise par des taux élevés et persistants de maladies infectieuses (qui pourraient découler d’un manque d’interventions efficaces en santé publique) et par des taux croissants de maladies chroniques et non transmissibles attribuables à l’adoption de modes de vie « importés » des pays développés (Entsua-Mensah, Doku et Adzamli, 2012) ou encore aux déficiences des systèmes sociaux (Boutayeb, 2006). Toutefois, on a également eu recours au concept de double charge pour décrire la situation des femmes ayant un faible revenu et qui, d’une manière aggravante, sont structurellement défavorisées en raison à la fois de leur sexe et de leur statut social, phénomène dont les répercussions sur le plan de la santé ont été analysées du point de vue de l’équité (Whitehead, 1992).
La documentation du domaine de la sociologie emploie des termes tels que « charge de traitements », c’est-à-dire la charge imposée sur le patient par le traitement, y compris le temps qu’il faut pour se renseigner sur un traitement, l’administrer, le surveiller ou l’obtenir (May et autres, 2014; Sav et autres, 2013). Par ailleurs, le terme « charge des médicaments », y inclus les effets indésirables, les effets secondaires, l’interaction médicamenteuse et la stigmatisation associée à la consommation de médicaments, figure dans certaines publications de la sociologie médicale (Sav, McMillan, Kendall, Whitty et King, 2012). Un des grands domaines de la documentation sur la recherche sociologique est la « charge de la prestation des soins » ou la « charge des soins » et comprend des études générales sur le temps accordé aux soins, sur la contribution économique des personnes qui offrent des soins et la déclaration volontaire positive ou négative des effets des soins (Barry, 2014; Rivera-Navarro, Morales-González et Benito-León, 2003; Zan et Scharff, 2014). Des outils spéciaux ont été mis au point dans le but de mesurer la charge de la prestation des soins, quoique les opinions varient quant au choix de la meilleure approche .(Vella et Pai, 2013) De plus, la « charge familiale » représente un domaine d’enquête particulier pour lequel on a créé un outil qui sert à mesurer la charge, soit l’Échelle d’évaluation de la charge familiale (Family Burden Assessment Scale) (Maji, Sood, Sagar et Khandelwal, 2012).
La prolifération de l’utilisation des termes « charge » et « coût » relève des analystes économiques. Les coûts directs, indirects et intangibles sont couramment représentés. Les coûts directs » sont habituellement associés avec les soins hospitaliers, les traitements ambulatoires, les médicaments (ordinairement, les médicaments sur ordonnance) et les visites chez le médecin (Kwong et autres, 2010). Les « coûts indirects » représentent ceux liés à l’absentéisme ou à la perte de production (c.-à-d. la production associée à un emploi rémunéré de la main-d’oeuvre) à la suite d’une maladie ou d’un décès, de même qu’au « présentéisme », soit la baisse de la productivité au travail en raison de problèmes de santé (Malinowsk et Kawalec, 2015). Les « coûts intangibles » correspondent aux coûts de la douleur et de la souffrance ainsi qu’à d’autres coûts économiques difficiles à mesurer, dont les coûts associés aux aidants non rémunérés et ceux qui découlent des maladies non diagnostiquées (American Diabetes Association, 2013), malgré le fait qu’on ne soit pas clair sur la gamme d’éléments qui soient inclus ou non. La documentation sur la charge des troubles de santé mentale et des maladies chroniques renvoie aussi à la « charge intangible » aussi bien qu’à la « charge subjective » et « personnelle » ou « individuelle » (Englisch et autres, 2010; Kobeissi et autres, 2011; Zink et Huscher, 2004) qui, dans certaines situations, semble indiquer un stress psychologique ou de l’anxiété. La « charge subjective » représente la gravité de la maladie et ses répercussions sur les capacités fonctionnelles et la qualité de vie telles qu’elles sont perçues par les personnes affectées ou par les membres de leur famille, ce qui la distingue des évaluations effectuées par un tiers objectif tel qu’un intervieweur (Maji et autres, 2012). On décrit également la « charge économique » en fonction du niveau auquel elle se manifeste, c’est-à-dire au niveau « individuel », « familial » ou « sociétal » (Fogarty et autres, 2014). Un champ d’études spécial de la charge au niveau familial porte sur l’analyse des effets d’une maladie ou d’une blessure sur les familles à faible revenu (Adhikari et Sharma, 2009). Les coûts de soins de santé sont des aspects dominants dans les analyses économiques de la charge, mais la « charge de soins de santé » fait aussi partie de la « charge de ressources insuffisantes », c’est-à-dire il faut plus de ressources pour répondre aux besoins liés aux maladies. De plus, les « pics de demande » représentent une charge de soins de santé plus définie et de court terme (Sills et autres, 2011). Enfin, la « charge associée aux soins de santé » correspond aux maladies contractées dans un établissement hospitalier, généralement dans le contexte de soins de longue durée ou de soins actifs (Taylor et autres, 2014).
On mentionne la « charge attribuable » et la « charge des risques » dans des études telles que les travaux de Lim et autres (2012), qui associent les maladies à des facteurs de risque causaux ou en corrélation. Ces études mettent à profit des données probantes sur la relation causale servant à quantifier la proportion de la charge des maladies qui pourrait être liée à certains facteurs proximaux (p. ex., tabagisme, niveaux d’activité, obésité) ou à certains facteurs ultimes (p. ex., faible revenu). Cependant, les facteurs proximaux et les facteurs de risque axés sur le comportement semblent figurer plus souvent dans la documentation épidémiologique que les facteurs structuraux ou systémiques (Link et Phelan, 1995). Muennig et autres (2005) comptent parmi les exceptions significatives qui estiment que la charge totale des maladies (mesurée selon EV, EVAS, AVP et AVAS) est associée au revenu aux États-Unis et une étude des Pays-Bas menée par Cuijpers et autres a porté sur la contribution des adversités infantiles, particulièrement l’abus et la négligence, à la charge des maladies (Cuijpers et autres, 2011). La documentation contient certaines études qui portent également sur des facteurs de comorbidité qui sont qualifiés de « charge de comorbidité » ou de « charge de maladies multiples » (Aubert et autres, 2015; Bolton et Talman, 2010). Le terme « charge inéquitable » apparaît dans la documentation relative à certaines études venant quantifier la présence de conditions physiques particulières qui touchent de manière disproportionnée des sous-populations défavorisées (Lennon et autres, 2012). Toutefois, il ne semble pas encore exister de cadre général sur la charge des maladies qui intègre des concepts et des indicateurs se rapportant à l’équité.
Les idées clés qui ont permis de comprendre et de quantifier la charge des maladies
Parmi une panoplie de termes qu’on utilise pour décrire la charge des maladies, certaines idées et approches clés en sont découlées et ont évolué en arrimant les concepts à des considérations pratiques touchant les méthodes de mesure et les besoins des professionnels de la santé publique. Au fil du temps, on a vu une évolution de la signification, des valeurs implicites, des indicateurs et des idées prépondérantes relativement aux évaluations de la charge des maladies qui servaient à se faire aux multiples influences, y compris les tendances épidémiologiques, les améliorations de la collecte des données, les méthodes de prévision et les disciplines et hypothèses dominantes du discours. Il importe de comprendre certaines des idées clés qui ont été soulevées au cours de ces discussions continues sur la charge des maladies (voir la figure 1). Des exemples paraissent ci-dessous, mais le CCNMI invitera les intervenants à suggérer des éléments supplémentaires à ce travail de fond.
Figure 1. Frise chronologique des concepts et indicateurs clés de la charge des maladies
Taux de mortalité et proportions
L’utilisation de données statistiques sur les mortalités remonte dans le temps jusqu’aux listes mortuaires du XVIIe siècle employées dans la ville de Londres où John Graunt analysait les actes de décès pour ensuite publier ses observations. Les données statistiques sur les mortalités s’inspiraient du registre des sépultures qui était incomplet mais qui permettait quand même à Graunt d’en tirer des conclusions importantes sur les causes de décès, telles que la peste et les meurtres, et indirectement, sur les tendances démographiques et les conditions sociales de l’époque (Young, 2004). En organisant l’ensemble des données par groupe d’âge et en comparant de façon proportionnelle certaines causes relatives au nombre décès total au sein de la population, les premières analyses sur les données liées à la mortalité ont fourni de l’information. Plusieurs indicateurs de mortalité, y compris l’espérance de vie, tous liés à la cause, à la maladie et à la mortalité infantile sont toujours employés couramment dans l’évaluation de la santé des populations (Gold et autres, 2002). Plus récemment, des spécialistes de la santé des populations en sont venus à comprendre qu’une surdépendance à l’égard des données liées à la mortalité risque d’engendrer des partis pris dans le choix des conditions physiques que l’on retient comme étant prioritaires. En d’autres mots, certaines affections sont surreprésentées dans les indicateurs de mortalité puisqu’elles sont plus aptes à être données comme cause du décès que d’autres affections de comorbidité qui contribuent à la mort OMS (Navarro, 2009). En dépit du fait que la grippe n’est pas perçue par le public comme étant une affection grave en matière de santé, elle contribue au taux de décès lorsque de nombreuses autres causes sont présentes. Szucs (1999) cite une étude des Pays-Bas qui attribue à la grippe 1,3 décès sur une population totale de 10 000, alors que s’ajoutent à ce nombre 2,6 décès sur 10 000 non attribués à la grippe mais liés à l’infection initiale, ce qui reflète la difficulté de reconnaître les décès causés par les complications de la grippe Donc, les indicateurs de la charge des maladies liés aux décès ne sont fonction que de la cause précise du décès et ne tiennent pas compte de toutes les causes sous-jacentes et importantes qui auraient mené au décès.
Années-personnes et années potentielles de vie perdues (APVP)
On attribue à Dempsey (1947) le perfectionnement des indicateurs de la charge des maladies liés à la mortalité, qu’il a mis de l’avant sous le terme « années-personnes de vie perdues », le premier jalon d’une série de concepts et de méthodes dérivés qui viendront pondérer les données sur la mortalité selon l’âge au décès et la perte d’années de vie possibles (Ahrens et Pigeot, 2007). L’approche novatrice de Dempsey cherchait à faire valoir le caractère inadéquat des approches standard à la mortalité en mesurant la charge de la tuberculose qui avait touché de nombreuses jeunes personnes de l’époque (Centers for Disease Control and Prevention, 1986). Alors que l’approche de Dempsey était axée sur l’espérance de vie à la naissance, d’autres ont par la suite appliqué à un âge au décès donné des estimations de l’espérance de vie établies à l’aide de tables de survie (c.-à-d. des tables du moment ou des tables de génération), puis on a eu recours à une méthode simplifiée utilisant une durée de vie standard pour faciliter la comparaison entre des populations dont l’espérance de vie diffère de manière importante (Ahrens et Pigeot, 2007). (CDC, 1986). On arrive aux années potentielles de vie perdues en faisant le calcul de la somme des années de vie perdues chez les personnes d’une population entre l’âge au moment de leur décès et un âge arbitraire, tel que 65 ou 70 ans, correspondant à leur espérance de vie (Young, 2004). L’espérance de vie standard varie selon les études, mais l’âge le plus souvent retenu est 70 ans, entre autres parce qu’il est difficile d’établir la cause du décès chez les personnes plus âgées (Ahrens et Pigeot, 2007). Quoique l’idée voulant qu’un décès prématuré pèse plus lourdement sur la société et qu’il soit plus coûteux semble être compatible avec les normes culturelles dominantes de la société canadienne, les questions éthiques liées au fait qu’on accorde la priorité à une jeune vie sont contestées.
Considération de la morbidité
Nouvelle perspective de la santé des Canadiens : Le rapport Lalonde
Le rapport Lalonde est reconnu pour son observation audacieuse compte tenu de l’époque—qu’on ne peut réaliser des améliorations en santé publique que par les soins de santé biomédicaux et que l’état de santé d’une population ne peut être défini que par la qualité des soins de santé. Lalonde a fait un changement d’éclairage sur la façon de voir la charge des maladies de manière à tenir compte des conditions moins graves et a ainsi ouvert la porte aux discussions sur la prévention et sur la promotion de la santé.
Le rapport publié en 1974 a fait valoir un manque d’évaluations utiles sur l’état de santé des Canadiens et a fait remarquer notre surdépendance des indicateurs de mortalité et de morbidité. Lalonde a noté que les principales causes de décès de cette époque étaient attribuables à des maladies chroniques et à des accidents, et que les maladies mentales représentaient une proportion importante et grandissante de la charge, mais qu’il y avait relativement peu de décès dus aux maladies infectieuses, la grippe et la pneumonie faisant exception. Étant donné la charge croissante des affections chroniques, Lalonde a fait valoir l’importance d’indicateurs de morbidité qui incluraient toute la gamme des incapacités en allant d’affections bénignes aux affections plus graves gérées par le patient et qui nécessitent un traitement médical et une hospitalisation. De plus, il a fait remarquer la valeur de l’étude des indicateurs en tenant compte des segments sociogéographiques de la population canadienne en notant qu’on réaliserait des progrès plus importants en se concentrant davantage sur les problèmes des « populations à risque élevé ». Qui plus est, il a souligné l’utilisation d’analyses en fonction de l’âge et du sexe.
Lalonde a préconisé l’utilisation d’indicateurs de la santé des Canadiens qui seraient plus systématiques, compréhensifs et réceptifs. Plus particulièrement, il a attiré notre attention vers la collecte d’information liée à la charge des maladies non traitées au sein des établissements de soins de santé (c.-à-d. la charge des traitements ambulatoires, la charge des traitements administrés par le patient, la charge des maladies bénignes, la charge non traitée). L’auteur reconnaissait qu’il faudrait trouver des solutions aux difficultés techniques et conceptuelles pour pouvoir mesurer ces charges, malgré le fait qu’il n’ait pas traité les questions conceptuelles plus en détail (Lalonde, 1974).
Le rapport Lalonde est en contraste au point de vue classique et binaire des maladies transmissibles et non transmissibles, des domaines qui s’excluent mutuellement. Toutefois, au fur et à mesure que notre compréhension des facteurs de causalité complexes se développe (p. ex., le rôle des virus dans les cancers) et que de nouveaux défis se posent dans le domaine du contrôle des maladies infectieuses (p. ex., la résistance aux antimicrobiens et les nouvelles infections émergentes), le discours des éléments de la charge des maladies qui seraient importants à mesurer pourrait changer encore une fois.
Les indicateurs axés sur la mortalité relatifs à la charge ne suffisent pas à l’évaluation de l’effet des maladies et des blessures. En tenant compte de la morbidité, on enrichit l’évaluation de la santé des populations, notamment les affections qui sont moins aptes à être les causes du décès. Il existe certaines données de surveillance sur des maladies précises (p. ex., les registres des cas de cancer) et les données obtenues sur les maladies transmissibles à déclaration obligatoire (Thacker, 2006; Lalonde 1974). Les dossiers administratifs (p. ex., les admissions aux hôpitaux, les visites chez le médecin, l’utilisation des médicaments pharmaceutiques) sont aussi une source de données importante sur les ressources de soins de santé affectées au traitement de certaines conditions physiques. Les données sur la morbidité demeurent toutefois limitées, et elles posent problème à plusieurs égards. La charge de la morbidité captée par les données de surveillance est toujours approximative puisqu’il se pourrait que les personnes ne cherchent pas à se faire traiter, que les médecins ne demandent pas les tests nécessaires à un diagnostic et que l’interprétation des caractéristiques d’une maladie puisse varier, et parmi l’ensemble des tests un faible pourcentage donne lieu à des résultats faux positifs et faux négatifs. De plus, les jeux de données administratives reflètent les contextes des politiques et des procédures d’une région donnée, ce qui fait qu’il soit difficile de faire des comparaisons à l’échelle nationale. En outre, les données sur la morbidité ont tendance à tenir compte de la maladie la plus grave qui a déjà retenu l’attention des fournisseurs de soins de santé, bien que la charge des maladies la plus importante puisse être l’effet cumulatif des affections moins graves et peut-être remédiables, et qui sont à des stades précoces.
En 1974, le ministre de la Santé nationale et du Bien-être social, Marc Lalonde, faisait une semblable observation. Son rapport, intitulé Une nouvelle perspective de la santé des Canadiens, lançait le défi au gouvernement du Canada d’inclure un spectre plus complet de la morbidité dans les évaluations de la santé des populations et de reconnaître qu’on ne pourrait réaliser des progrès plus importants en santé publique que par les soins médicaux (voir l’encadré). Les efforts de prévention et de promotion de la santé préconisés par Lalonde auraient besoin de données probantes de base sensibles à tout un éventail d’états de santé. Malgré le mérite de ces observations, les données sur la morbidité au Canada sont toujours inadéquates et ne servent pas l’objectif visé par Lalonde au milieu des années 1970.
Les indicateurs ajustés en fonction de la santé et les AVAQ
Au cours des années 1960, un consensus grandissant se faisait sentir chez de nombreuses personnes du domaine de la santé et du travail social concernant le fait que la qualité de vie constituait un élément essentiel qui ne figurait pas dans les évaluations de la santé des populations. À l’époque, on se penchait davantage sur les lacunes en matière de santé – les années vécues dans un état de santé inférieur à un état idéal. On a proposé de nombreux indicateurs de lacunes en matière de santé (Murray et autres, 2000). Selon l’explication de Gold et autres (2002), les années de vie ajustées en fonction de la santé (AVAS) constituent un groupe d’indicateurs qui comprennent l’effet du décès et de la morbidité. De là, on a élaboré, à une date ultérieure, les années de vie ajustées en fonction de la qualité (AVAQ) et les années de vie ajustées en fonction de l’incapacité (AVAI) qui sont deux formes d’AVAS. Les AVAQ tiennent compte de l’espérance de vie et de la qualité de vie des années futures en se concentrant sur l’état de santé. Comme l’expliquent Murray et collègues, il faut qu’on décide des domaines de la santé qui devraient faire l’objet de la mesure de l’état de santé (Murray et autres, 2000). À l’intérieur de ces domaines, on peut faire des distinctions entre le rendement et la capacité, et plus de distinctions entre le rendement ou la capacité déclarés et observés. Les domaines mesurés le plus souvent comprenaient chacun des sens, la douleur, la mobilité, la cognition et les domaines plus complexes de l’interaction sociale ou de la capacité de se livrer à des activités habituelles (Murray et autres, 2000). Les états de santé sont pondérés en fonction de la qualité de la santé, bien que des valeurs négatives puissent également indiquer des conditions qui soient pires que la mort. Les cotes de la qualité sont souvent jugées par différents groupes d’expert, y compris les personnes touchées, les membres de la collectivité et les enquêteurs de l’étude. Pour chaque domaine, on calcule la période de temps qui correspond à chaque état de santé à l’aide d’une valeur pondérée en fonction de la gravité (Murray et autres, 2000). On utilise les AVAQ pour évaluer les avantages tirés d’interventions en déterminant la qualité de vie liée à la santé et la survivance. On utilise un rapport coût-utilité pour cette évaluation; le rapport se définit par le coût supplémentaire nécessaire à produire une année de vie additionnelle en parfaite santé (Phillips, 2009). D’autres mesures descriptives de l’état de santé ont été utilisées (Health Utilities Index et Activities Limitation Index) et les aspects de santé décrits varient d’un indice à l’autre (Gold et autres, 2002). Les méthodes utilisées pour obtenir les cotes des états de santé (c.-à-d. les méthodes de l’arbitrage temporel ou du pari standard et les échelles de cotation ou les échelles visuelles analogues) ont éveillé des préoccupations, en raison notamment de l’irrégularité des valeurs attribuées à des conditions physiques ou à des maladies similaires (Gold et autres, 2002).
Qualité de vie liée à la santé (QVLS)
La QVLS, un concept qui a fait son apparition dans les années 1980, vise à reconnaître les effets de la maladie ou de l’incapacité sur la santé générale et sur la qualité de vie. Le Centre de contrôle et de prévention des maladies (Center for Disease Controle and Prevention – CDC) a défini la QVLS comme étant l’état de santé physique et mentale tel que perçu par une personne ou par un groupe au fil du temps (Centers for Disease Control and Prevention, s. d.), mais d’autres auteurs ont adopté une définition qui comprend trois aspects de la santé : la santé physique, soit notamment la santé générale, les capacités fonctionnelles au quotidien, des symptômes tels que la douleur, et l’incapacité physique; la santé mentale, soit notamment l’humeur, l’estime de soi, la sensation de bien-être, et la stigmatisation perçue; et la santé sociale, soit notamment les activités et les relations sociales (voir, par exemple, Lehrner et autres, 1999). L’intention sous-jacente à la QVLS est de mettre au point et d’utiliser des indicateurs qui prennent en considération l’état de santé perçu par les personnes, de même que leur capacité de fonctionner comme elles le souhaitent au sein de la société. En cela la QVLS se distingue d’autres types de mesure qui se limitent à évaluer la durée de vie (mortalité ou espérance de vie) ou la durée de vie avec ou sans incapacité (morbidité), tout en s’écartant de la vision utilitariste des interventions qui se dégage des AVAQ.
Un certain nombre d’instruments ont été élaborés pour mesurer la QVLS (Medical Outcomes Study Short Forms, Sickness Impact Profile et Quality of Well-Being Scale, par exemple) et ont été largement validés en milieu clinique ou dans le cadre d’études portant sur certains groupes de population. Plusieurs de ces instruments de mesure sont très détaillés et leur intégration à la surveillance régulière représente un défi. Cependant, le CDC a cherché à mettre au point des instruments plus concis, et cette démarche a conduit à la Healthy Days Measure, ou journées-santé, un ensemble intégré de questions larges sur l’état de santé perçu et les limitations de l’activité. Le CDC fait part d’autres progrès découlant de la mise en pratique des concepts et des mesures de la QVLS. Par exemple, la série de rapports du CDC sur l’évolution de la santé de la population définit l’amélioration de la QVLS associée aux maladies chroniques et aux facteurs de risque comme un objectif de santé publique. Selon le CDC, la décision de cibler la QVLS en tant que norme nationale en matière de santé a créé des ponts entre des disciplines qui traditionnellement ne prenaient pas part à l’élaboration des politiques de santé, ainsi qu’entre les services sociaux, de santé physique et de santé mentale. (CDC, s. d). La prise en compte de la diversité des perceptions de l’état de santé demeure un défi. Certains auteurs ont souligné la nécessité de mener des recherches qualitatives qui permettraient de saisir le sens que prend « avoir une bonne qualité de vie » pour des personnes venant de différents milieux, rattachées à diverses cultures ou ayant eu tout autre parcours particulier (Bounthavong et Law, 2008).
L’approche du projet de la Charge mondiale des maladies
Au début des années 1990, le projet de la Charge mondiale des maladies (CCM), mis sur pied par la Banque mondiale de concert avec l’OMS, a tenté d’aborder les multiples insuffisances des indicateurs de l’évaluation de la santé. Les mesures se concentraient beaucoup sur les indicateurs de mortalité, elles étaient fragmentaires et manquaient de cohérence. L’information n’était pas comparable et ne supportait pas facilement l’analyse coût-efficacité (Murray et Lopez, 1999; Organisation mondiale de la santé. Enfin, de nombreuses évaluations de la santé des populations ne faisaient le lien entre les facteurs de risque et l’exposition et les résultats au niveau de la population. L’objectif de la CMM était de quantifier la charge mondiale du décès prématuré, des maladies et des blessures, et de formuler des recommandations en vue d’améliorer la santé, notamment dans les pays en voie de développement (Gold et autres, 2002). La première étude de la CMM a quantifié les effets sur la santé de plus de 100 maladies de huit régions du monde, désagrégés par groupe d’âge, par sexe et par région, et a présenté une nouvelle mesure agrégée de la santé soit les AVAI (Organisation mondiale de la santé, s. d.)
La CMM est considérée comme étant une percée d’envergure dans le domaine des données statistiques mondiales sur la santé. Elle a permis de comparer des maladies par région et par pays à l’échelle internationale générant ainsi des données cohérentes ayant la propriété de fermeture sur la charge des maladies. L’inclusion des résultats non mortels en matière de santé était l’une des préoccupations principales des chercheurs et les résultats ont tiré notre attention sur l’importance des maladies chroniques et non transmissibles des pays en voie de développement, et sur l’importance des blessures et des maladies mentales relativement aux maladies infectieuses de ces régions. Comme les AVAI utilisaient des données facilement accessibles, l’approche de la CMM offrait même aux pays en voie de développement une méthode réalisable permettant d’estimer la charge des maladies. L’OMS a officiellement adopté la charge des maladies et l’approche aux AVAI au cours des années 1990 ce qui a permis d’appuyer les pays qui avaient une moindre capacité de mesurer la charge. Pendant cette même période, un consensus s’est établi favorisant l’emploi des AVAI compte tenu de leur mérite qui permettait de faire des meilleures comparaisons. On a procédé à une mise à jour de l’étude en utilisant des données de 2000 à 2002 en vue de fournir une analyse plus approfondie des maladies attribuables à 26 facteurs de risque à l’aide du cadre de l’évaluation comparative des facteurs de risque. En 2010, l’Institute for Health Metrics and Evaluation a collaboré à la création d’une nouvelle méthode de calcul des AVAI, qui a ensuite été publiée en 2012 (Organisation mondiale de la santé, s. d.)
Années de vie ajustées en fonction de l’incapacité (AVAI)
Comme les AVAQ, l’année de vie ajustée en fonction de l’incapacité (AVAI) se veut une mesure de l’état de santé d’une population ajustée en fonction de la santé et s’inscrit dans les mesures agrégées d’AVAS. Gold et autres (Gold et autres, 2002)ont fait la distinction entre les deux mesures de façon détaillée, malgré le fait que la différence la plus évidente soit que les AVAI représentent la qualité de vie en se rapportant à des catégories de maladies (en appliquant la Classification internationale des handicaps : déficiences, incapacités et désavantages). Les AVAI servent à quantifier la morbidité, les complications invalidantes aussi bien que la mortalité à l’aide d’une seule mesure. Pour une condition physique donnée, le total des années de vie perdues (AVP) en raison d’un décès prématuré au sein d’une population est ajouté au total d’années vécues avec une incapacité (AVI) tout en tenant compte de divers degrés de gravité. On utilise des coefficients de pondération de la gravité, aussi appelés des coefficients de pondération de l’incapacité, pour quantifier la diminution de la qualité de vie. Des groupes d’experts sont chargés de l’attribution des coefficients de pondération et utilisent une échelle de 0 à 1, où 0 correspond à une santé parfaite et 1 au décès. La première formule des AVAI accordait des coefficients de pondération différents aux populations selon la répartition de l’âge, c’est-à-dire on ne tenait pas compte des AVAI chez les personnes très jeunes et âgées relativement aux autres groupes d’âge (Gold et autres, 2002). Le calcul des AVAI peut incorporer d’autres facteurs d’abstraction. Par exemple, les facteurs d’abstraction utilisés accordent une valeur supérieure aux années de vie actuelles et préservées comparativement à celles des années futures. Les coefficients de l’âge et les facteurs d’abstraction font l’objet de débats passionnés (Knol et autres, 2009). En dépit des multiples avantages offerts par les AVAI, ses promoteurs avouent que cette mesure n’est pas sans certains inconvénients, y compris les inhérents jugements de valeur par rapport à l’âge et à l’incapacité. Les AVAI ne captent pas non plus les effets en aval, comme les répercussions de la maladie sur les échanges commerciaux et l’agriculture, et les autres coûts entraînés à l’échelle sociale ou sociétale (Navarro, 2009). De plus, puisque les AVAI sont calculées en fonction d’une maladie précise, elles ne peuvent tenir compte des comorbidités qui sont des facteurs qui contribuent de façon importante à la charge des maladies. En outre, les traitements qui ont des effets secondaires ne peuvent être captés par la structure des AVAI (Gold et autres, 2002).
L’élaboration de nouveaux concepts et de nouvelles approches à la mesure de la charge a donné des renseignements et des connaissances plus riches sur la santé des populations aux professionnels de la santé, bien que les défis relatifs à l’application de ces idées au processus de la planification de programmes et de l’élaboration de politiques soient toujours présents comme on le verra dans la section suivante.
Les applications de la charge des maladies au Canada
On applique le concept et les indicateurs de la charge des maladies à tous les niveaux des politiques et de la pratique de la santé publique au Canada. Le CCNMI a effectué un bref examen des documents sur la santé publique au Canada dans le but de déterminer les moyens d’application, de formulation et de mesure de la charge des maladies à l’heure actuelle dans le cadre de la planification des programmes et des politiques liés à la santé publique aux niveaux national et infranational. En se concentrant sur les maladies infectieuses, notre examen a indiqué qu’il existait toute une gamme de significations, d’indicateurs et d’objectifs qui relève de l’estimation de la charge des maladies au Canada.
Au niveau le plus fondamental, le terme « charge des maladies », tel qu’il paraît dans les rapports de la santé, sert tout simplement à caractériser l’existence d’une maladie au sein d’une population donnée. Un nombre de rapports de l’Agence de la santé publique du Canada (ASPC), par exemple, ne décrivent la charge d’une variété de maladies infectieuses qu’en fonction des données estimatives sur l’incidence et la prévalence (Gallant, et autres, 2014). De manière semblable, les estimations de la charge des maladies de nombreuses maladies d’origine alimentaire au Canada sont basées sur le nombre annuel de cas confirmés en laboratoire qui proviennent des systèmes de surveillance nationale tels que celui du Système canadien de surveillance des maladies à déclaration obligatoire (Thomas et Murray, 2014). Le nombre de cas et les taux d’incidence ou de prévalence servent d’indicateurs très courants utilisés pour représenter la charge des maladies au sein des populations dans les rapports épidémiologiques. Bien que ces indicateurs soient utilisés de façon généralisée, leur exactitude dépend beaucoup de divers facteurs, y compris le choix des dénominateurs, la cohérence des définitions de cas et l’attention soigneuse que les régions accordent à la communication des maladies. Il importe également de noter qu’on ne mentionne pas toujours le terme « charge » dans les rapports de surveillance ou épidémiologiques même lorsque les indicateurs de la charge des maladies sont décrits (Agence de la santé publique du Canada, 2009a, 2010, 2014).
D’autres programmes et projets de recherche en santé publique au Canada utilisent des définitions plus larges et inscrivent la mesure de la charge des maladies dans une approche globale. Ils peuvent inclure des indicateurs de la gravité des maladies, des indicateurs des coûts économiques directs et indirects ou des indicateurs sommaires de la santé des populations (p. ex., les AVP, les AVAS, les AVAI, l’EVAS). (Agence de la santé publique du Canada, 2006a; Kwong, et autres, 2010; Morrison et autres, 2014; Santé Canada, 2014)
De plus, on utilise beaucoup des indicateurs de gravité tels que la mortalité et l’emploi des soins de santé par maladie pour déterminer la charge des maladies. Les indicateurs de l’utilisation des soins de santé qui sont utilisés fréquemment au Canada comprennent : les maladies nosocomiales, l’admission au service de soins intensifs, les visites chez le médecin et la durée du séjour à l’hôpital. Les études qui cherchent à estimer la charge économique de certaines maladies au Canada utilisent des indicateurs liés à l’emploi des soins de santé dans le but de déterminer les coûts directs de ces maladies à la société (Krueger et autres, 2013; Santé Canada, 2014 ). On détermine les coûts indirects des maladies dans ces études en estimant la perte de production en raison d’un décès prématuré ou d’une morbidité (habituellement en faisant appel aux opinions subjectives des patients ou en tenant compte de la valeur monétaire du temps perdu). Enfin, un nombre d’études canadiennes sur la santé publique utilisent des mesures agrégées de la santé des populations pour estimer la charge des maladies de façon plus large et complète (Kwong, et autres, 2010; Comité consultatif national de l’immunisation, 2012). En général, ces études utilisent des méthodologies et des mesures standard pour incorporer les effets complexes sur la qualité de vie tout en permettant de faire des comparaisons entre les populations aux niveaux national et international.
La disponibilité des données semble être un facteur considérable dans la définition de la portée des indicateurs dans l’estimation de la charge des maladies. Le rapport Ontario Burden of Infectious Disease Study (étude ONBOIDS sur le fardeau des maladies infectieuses en Ontario, décrite ci-dessous) explique que l’approche utilisée pour l’estimation de la charge dépendait de la disponibilité des données (Kwong et autres, 2010). Cependant, on déploie actuellement certains efforts pour élargir et accroître les indicateurs de la charge des maladies. Le Centre des maladies infectieuses d’origine alimentaire, environnementale et zoonotique de l’ASPC prévoit élargir la portée de ses indicateurs de la charge de manière à aller au-delà du simple nombre de cas pour inclure le nombre d’hospitalisations, de décès et les coûts économiques associés aux maladies d’origine alimentaire (Thomas et Murray, 2014). Avec l’amélioration et l’élargissement des systèmes de surveillance, on pourrait espérer se fier moins sur les simples taux d’incidence et de prévalence comme indicateurs de de charge des maladies au Canada, bien qu’une planification ciblée et transparente soit peut-être le meilleur moyen d’en assurer la réussite.
Au Canada, plusieurs programmes et projets de recherche en santé publique se sont efforcés d’estimer les différents aspects de la charge des maladies. Pour donner une idée de la portée et de la diversité de ces projets tout en se concentrant sur les maladies infectieuses, le CCNMI a retenu quatre initiatives majeures canadiennes qui se sont préoccupées d’arrimer leurs indicateurs de la charge des maladies aux finalités de la prise de décision en matière de santé publique.
Planification stratégique de l’EVAS et de l’ASPC
Un indicateur clé de la population créé par Statistique Canada sert à mesurer la santé par une formule en utilisant l’espérance de vie ajustée en fonction de la santé (EVAS). L’EVAS se veut un indicateur de la moyenne du nombre d’années qu’une personne peut s’attendre à vivre en bonne santé étant donné les taux de mortalité et de morbidité actuels au sein de la population (Comité directeur sur l’espérance de vie ajustée en fonction de l’état de santé de l’Agence de la santé publique du Canada, 2012). Il tient compte à la fois de la mortalité (nombre d’années vécues) et de la morbidité (qualité de vie) au moyen d’une seule mesure agrégée. On peut s’en servir pour mesure non seulement la charge des maladies et des blessures, mais aussi la charge associée à des facteurs de risque au sein de la population et la performance des efforts de santé publique. En 2012-2013, l’Agence publiait un document intitulé L’espérance de vie ajustée en fonction de l’état de santé (EVAS) : Rapport de 2012 présenté par l’Agence de la santé publique du Canada qui renferme les estimations de l’EVAS des Canadiens avec et sans certaines maladies et affections. En outre, le rapport citait des études (McIntosh et autres, 2009) qui analysaient l’équité en matière de santé de la population en faisant un lien entre les données sur la mortalité et les données sur le revenu. Ces études indiquaient qu’on associait le faible revenu d’un quartier et le faible revenu familial à une perte considérable de l’EVAS. Entre 2012 et 2014, l’ASPC a adopté l’EVAS (plus précisément l’EVAS à la naissance observée pour les catégories de revenu correspondant au premier cinquième et au dernier cinquième de la population) comme indicateur de performance de son objectif stratégique premier qui était de « Protéger les Canadiens et les aider à améliorer leur santé » (Agence de la santé publique du Canada, 2013). Au moyen de ces initiatives, l’Agence a fait preuve de son engagement à ce que les estimations de la charge des maladies qui éclairent les politiques au Canada non seulement intègrent des concepts sur la qualité de vie, mais aussi des analyses d’équité en matière de santé.
FEMC
Le fardeau économique des maladies du Canada (FEMC) est une étude compréhensive sur le coût des maladies amorcée en 1991 dans le but de fournir de l’information objective et comparable sur l’énormité du fardeau ou du coût économique des maladies et des blessures au Canada en s’inspirant d’unités déclarantes et de modes de déclaration de rapports standard (Santé Canada, 2014).Le rapport le plus récent, FEMC de 2005–2008, comprend des estimations qui incluent de nombreux coûts directs et indirects associés aux maladies, mais sans tenir compte des indicateurs de coûts intangibles tels que la douleur et la souffrance. Les trois composantes des coûts directs faisant l’objet des estimations sont : les dépenses liées aux soins hospitaliers, aux soins des médecins et aux médicaments. D’autres coûts directs liés à la santé (p. ex., biens capitaux, autres professionnels, dépenses de la santé publique et autres dépenses en matière de santé) ont été compris dans le total des estimations des coûts, mais n’ont pas été inscrits au chapitre des catégories diagnostiques du FEMC. On a estimé les coûts indirects des maladies en fonction de la valeur monétaire qui correspond à la perte de production attribuable aux maladies, aux blessures ou aux décès prématurés qui, en revanche, contribue à une diminution de la participation à la vie active. Ils n’ont pas tenu compte des coûts associés au présentéisme, aux activités qui ne font pas partie de la main-d’oeuvre active ou aux soins offerts par des aidants naturels. L’objectif premier du FEMC a été de fournir des données probantes solides et économiques dans le but d’appuyer la planification des politiques et des programmes au Canada (Santé Canada, 2014).
Cadre de priorisation des vaccins pandémiques
Le Cadre de priorisation des vaccins pandémiques figure en annexe au Plan canadien de lutte contre la pandémie d’influenza (PCPI) dans le secteur de la santé et a été élaboré dans le but de diriger la prise de décisions sur la priorisation des vaccins nécessaires dans l’éventualité d’une pandémie au Canada (p. ex., s’il faut établir des groupes prioritaires ou non et dans l’affirmative, quels groupes sélectionner (Agence de la santé publique du Canada, 2009b). Les objectifs canadiens en cas de pandémie énoncés dans le PCPI offrent une direction solide à la prise de décision concernant la mise en oeuvre d’un programme de vaccins pandémiques. Ces objectifs sont « premièrement, de réduire au minimum la morbidité grave et la mortalité en général et, deuxièmement, de réduire au minimum les perturbations sociales résultant d’une pandémie d’influenza au sein de la population canadienne » (Agence de la santé publique du Canada, 2006b). Le Cadre de priorisation des vaccins pandémiques décrit de nombreuses considérations qui doivent être prises en ligne de compte pour atteindre ces objectifs au moyen de la priorisation des vaccins. Le Cadre souligne l’importance d’une connaissance de l’épidémiologie de la pandémie et du fardeau de la maladie comme étant « probablement la considération la plus importante lors de la formulation des recommandations sur le vaccin, notamment l’établissement de l’ordre de priorité des bénéficiaires » (Agence de la santé publique du Canada, 2009b). Il met en lumière plusieurs indicateurs clés à considérer, y compris la gravité de la pandémie, le taux d’attaque et les groupes de population les plus touchés par la mortalité et une morbidité grave. Il reconnaît également que les données sur la mortalité ou sur la morbidité grave peuvent être présentées de diverses façons (p. ex., le nombre de décès ou le taux de mortalité par groupe d’âge ou par groupe à risque, par le nombre d’années vécues en bonne santé ou par le nombre d’années de vie active perdues, par les AVAI). Enfin, il fait mention du dilemme éthique qui existe lorsqu’on tente d’équilibrer l’utilité (le principe d’intervenir pour maximiser le bien-être général) et l’équité (la distribution équitable des avantages et des charges) lors du processus décisionnel relatif à la priorisation des vaccins. Le Cadre de priorisation des vaccins pandémiques ne cherche pas à mettre en place un système officiel de pondération des critères ou des indicateurs qui s’inscrivent dans la priorisation des décisions. Il utilise plutôt une structure formalisée pour décrire les questions et les préoccupations clés que l’on devrait considérer lors du processus décisionnel.
ONBOIDS
L’étude sur le fardeau des maladies en Ontario (ONBOIDS) terminée en 2010 fut une initiative d’envergure menée par l’Institut de recherche en sciences de santé (IRSS) et par Santé publique Ontario (SPO) dans le but de décrire les contributions de certaines maladies infectieuses à la charge totale des maladies infectieuses en Ontario. L’étude s’est fixé trois autres objectifs principaux : éclairer l’établissement des priorités, la planification et la prise de décision, établir une base de référence qui servirait aux évaluations futures des interventions en santé publique et définir les forces et les faiblesses des données actuelles sur les maladies infectieuses (Kwong et autres, 2010). Les chercheurs ont utilisé les AVAS à titre d’indicateur primaire relativement à la charge des maladies, bien qu’ils aient adapté leur approche et signalé que certaines décisions avaient été axées sur des valeurs dans le calcul de leurs AVAS (telles que l’utilisation de la valeur locale de l’espérance de vie plutôt qu’une valeur mondiale et la décision de ne pas inclure de pondération selon l’âge dans leur analyse) ce qui fait que la comparaison de leurs résultats aux autres résultats d’études sur la charge des maladies à l’échelle mondiale se fait moins facilement. Les auteurs soulignent deux autres limites importantes de leur rapport. D’abord ils expliquent que leurs méthodes ne permettaient pas d’évaluer pleinement les effets des éclosions des maladies infectieuses sur l’économie ou la société dans son ensemble. Ils font valoir le besoin de méthodes novatrices qui permettraient une évaluation compréhensive de la charge des éclosions de maladies infectieuses sur la santé et sur l’économie au Canada. Deuxièmement, ils font remarquer le fait que leur étude ne comprenait pas une évaluation de la charge des maladies qu’on aurait évitées au moyen d’interventions telles que les programmes de vaccination, les traitements précoces à l’aide d’antibiotiques ou le contrôle des infections nosocomiales. Ils notent qu’on attribue la faible charge associée aux maladies pouvant être prévenues par un vaccin au Canada principalement au succès des programmes de vaccination et qu’il ne serait pas indiqué de réduire l’attention portée à ces programmes par le milieu de la santé publique. L’étude ONBOIDS se veut l’un des examens les plus compréhensifs de la charge des maladies infectieuses menés au Canada jusqu’ici. Par contre, comme l’indiquent les auteurs, la qualité des données et l’accès à celles-ci ont eu un effet appréciable sur la portée des analyses qu’ils ont pu effectuer. Tout effort visant à élargir la portée de l’estimation de la charge des maladies au Canada pourrait, donc, devoir procéder en emboîtant le pas aux engagements relatifs à l’amélioration des données et de l’infrastructure de la surveillance.
Notre examen démontre que la portée des objectifs, des indicateurs et des significations concernant les estimations de la charge des maladies est énormément large lorsqu’il s’agit de la planification des programmes et d’initiatives en matière de politique du milieu de la santé publique au Canada. Toutefois, plusieurs de ces initiatives semblent partager un même objectif fondamental, soit de soutenir l’élaboration et la planification des politiques de santé publique au moyen de la surveillance des maladies et par l’établissement des priorités. Que ce soit en vue de formuler des objectifs stratégiques et des indicateurs de performance aux fins de l’ASPC, de créer un cadre national de priorisation des vaccins pandémiques, de décrire le coût économique des maladies et des blessures au Canada ou de déterminer la contribution relative de certaines maladies infectieuses ou non infectieuses à la charge totale des maladies, il est essentiel d’avoir des estimations exactes et compréhensives pour faire du progrès et obtenir des résultats positifs.
Les lacunes, questions et considérations d’un cadre
Cet exposé conceptuel a attiré l’attention sur une gamme de termes d’usage commun, sur des concepts et des indicateurs clés qui sont aujourd’hui des jalons, et sur des exemples de l’application des mesures de la charge au cours de l’élaboration des politiques et de la planification des programmes en matière de santé publique au Canada. Dans cette section, l’objet est de commencer à recenser les lacunes et de soulever un questionnement critique concernant la charge et ses mesures, et ce, à une étape où l’on s’apprête à clarifier les concepts et à construire un cadre élargi grâce auquel il sera possible d’appréhender d’importants aspects de la charge des maladies, en particulier la charge des maladies infectieuses. Un tel cadre pourrait aider à sensibiliser les décideurs en santé publique à l’envergure possible de la charge et de prendre connaissance de leur propre usage du terme. On pourrait l’utiliser pour évaluer la pertinence d’éléments supplémentaires de la charge, en vue de servir les fins établies par les politiques et les programmes de santé publique. On pourrait aussi l’utiliser pour déterminer si leur évaluation serait réalisable. À ce stade conceptuel et préliminaire, l’objectif est de questionner, de solliciter des idées et d’inviter l’apport de divers intervenants de la santé publique, tandis que l’objectif à plus long terme est d’élaborer un cadre pratique qui répondrait aux besoins des décideurs et des populations qu’ils desservent.
La charge – Élargir ou approfondir? Y a-t-il lieu d’accepter des approches diverses?
Ian McDowell, auteur de l’oeuvre intitulée Measuring Health, a observé une tendance dans la mesure de la santé, soit d’utiliser un choix d’outils et de méthodes consolidées plus étroit pour mesurer la charge (Mcdowell, 2006). Certes, le projet de la Charge mondiale des maladies a inspiré de nombreux projets de recherche sur l’utilisation des AVAI comme mesure agrégée, celles-ci étant vues comme un développement appréciable dans la mesure de la charge pour les raisons déjà expliquées. Par contre, comme nous l’avons mentionné, l’attention limitée accordée aux définitions de la charge des maladies, comparativement aux définitions des AVAI et aux témoignages contenus dans le projet de la CMM, incite à penser que le concept de la charge est en train d’être occulté par cette approche particulière. Il est peu probable qu’une seule mesure agrégée de la charge des maladies puisse atteindre tous les objectifs d’une évaluation de la santé ou tenir compte des effets de diverses maladies ou blessures et qu’elle corresponde au groupe qui nous intéresserait. Tel qu’il a été noté par Thacker et autres (Thacker, 2006), le calcul des charges effectué à l’aide de mesures et de sources de données différentes offre des conclusions très disparates pour ce qui est des priorités liées à la santé des populations. Par exemple, lorsqu’on utilise d’autres mesures pour évaluer la charge des dix conditions physiques qui figurent en tête de liste, les données statistiques nationales américaines indiquent que la grippe et la pneumonie se classent au 7e rang parmi les causes de décès, mais ces maladies ne sont pas représentées parmi les conditions les plus coûteuses ou parmi celles qui contribuent le plus aux AVAI ou aux APVP. On explique les divergences par le fait qu’elles sont un reflet d’un ensemble de caractéristiques des maladies et par le fait qu’elles se concentrent sur des mesures diverses. Il est clair que bien que l’ordre soit excessivement simplifié en général, la conclusion dominante de Thacker et autres porte sur les simples mesures de la charge et sur le fait qu’il soit peu probable d’en arriver à un consensus (Thacker, 2006). Selon un groupe d’experts de l’Institute of Medecine, aux États-Unis, toutes les mesures de la santé des populations comportent des choix et des jugements de valeur à la fois dans leur formulation et dans leur application. Ce même groupe recommande que les hypothèses de toute approche que l’on envisage d’adopter fassent l’objet de discussions ouvertes, que des normes soient établies et que l’on investisse dans la formation (Murray et autres, 2000).
Comment appréhende-t-on les hypothèses et les incertitudes dans la mesure de la charge des maladies?
Selon Knol et autres, les hypothèses et les incertitudes qui sous-tendent les estimations de la charge environnementale des maladies ne sont souvent pas claires, pourtant les décideurs doivent comprendre les origines de ces incertitudes et leurs implications s’ils veulent prendre de meilleures décisions. Les auteurs préconisent l’utilisation d’une typologie pour aider à recenser les incertitudes, à communiquer avec de multiples disciplines qui ont un rôle à jouer dans la santé environnementale publique et à interpréter les incertitudes concernant leurs effets sur l’utilité des résultats d’évaluation de la santé dans le soutien de la prise de décision. Quoiqu’ils reconnaissent les mérites des mesures agrégées telles que les AVAI, les auteurs signalent que les décideurs doivent s’assurer de comprendre les hypothèses et les incertitudes intrinsèques aux mesures. Knol et autres citent des exemples d’AVAI qui ont donné quatre conclusions différentes en utilisant des coefficients de pondération selon les hypothèses et la gravité des maladies, ce qui confirme la nécessité de faire preuve de prudence lorsqu’on utilise de tels indicateurs aux fins de politiques (Knol et autres, 2009). Les hypothèses et incertitudes relatives aux évaluations de l’état de santé de personnes atteintes de maladies infectieuses pourraient aussi faire l’objet d’études.
Quelle place occupent les méthodes de recherche qualitative et les évaluations de la charge subjectives?
Puisque les améliorations des résultats biologiques d’une condition physique ne sont pas toujours accompagnées d’améliorations similaires du bien-être telles que perçues par les personnes touchées, on a considéré, dans le cadre de certaines évaluations de la charge des maladies, l’utilisation de mesures subjectives de la qualité de vie liée à la santé. Cependant, la composante de la « qualité » s’avère complexe et est difficile à mesurer et à analyser. Comme il a déjà été noté, de nombreuses échelles de qualité de vie ont été mises au point et validées. Ces mesures quantitatives offrent un moyen facile de simplifier l’information complexe sur les expériences subjectives et servent à résumer et à analyser l’information puisée d’échantillons tirés de populations importantes à l’aide de méthodes statistiques. Cependant, il pourrait être difficile de saisir les facteurs que les personnes interrogées jugent importants au moyen de questions fermées et d’un ensemble de réponses qui sont, de rigueur, limitées et ordonnées. La marge d’erreur pourrait être grande. Les méthodes qualitatives (p. ex., les interviews et les études de cas) et les données ajoutent de l’information contextuelle et riche sur les résultats de santé définis par les patients. Il pourrait être important de comprendre ces expériences et ces perceptions en profondeur, c’est-à-dire non seulement les retombées d’une maladie sur les personnes, les familles et les collectivités, mais aussi l’information obtenue sur les stratégies connexes et acceptables de réduction de la charge.
Quels niveaux de la charge des maladies infectieuses doit-on prendre en ligne de compte et quel cadre étiologique doit-on appliquer?
Il est important de considérer si la charge des maladies a été suffisamment représentée à tous les niveaux touchés par les conditions physiques qui entraînent des coûts et des retombées considérables, c’est-à-dire pas seulement pour le patient, mais aussi au sein de la famille en tenant compte d’autres rapports sociaux clés, de la collectivité tant au niveau des systèmes de santé, de la santé publique et de la société. Encore plus important, les professionnels de la santé publique feraient bien de considérer le cadre étiologique dans lequel ces charges s’inscrivent. Est-ce qu’on attribue la charge des maladies à des comportements individuels dépourvus de leur contexte ou a-t-on plutôt adopté un modèle structurel de causalité qui permet d’apprécier le contexte d’origine et les processus qui entraînent la maladie? Dans un numéro du American Journal of Public Health, Pearce (1996) a soulevé cette question comme préoccupation des tendances épidémiologiques et elle constitue toujours une question centrale. L’auteur décrivait un décalage en épidémiologie allant d’une perspective de la population à une approche réductionniste qui est axée sur un niveau d’analyse individuel. Selon l’auteur, l’épidémiologie a largement cessé de fonctionner dans le cadre d’une approche multidisciplinaire permettant de comprendre la cause des maladies au sein des populations et est devenue un ensemble de méthodes génériques permettant de mesurer l’association entre l’exposition et la maladie chez les personnes. Pearce a poursuivi en critiquant le domaine pour avoir négligé les contextes sociaux, économiques, culturels, historiques, politiques et d’autres contextes au niveau de la population.
À quel point les mesures de la charge sont-elles pertinentes à un niveau d’élaboration des politiques publiques particulier?
Les auteurs d’une étude estonienne se sont penchés sur les compromis entre les résultats comparables internationaux d’une approche CMM à la charge et la pertinence locale, et ils en sont arrivés à la conclusion qu’ils devraient adapter leur stratégie pour répondre aux besoins à l’échelle nationale et locale en matière de politique. Les auteurs ont trouvé qu’en fournissant un contexte aux mesures, ils ont pu obtenir une valeur ajoutée et une meilleure adoption des résultats de la part des décideurs. Pour contextualiser les mesures, ils ont utilisé la classification des maladies qui correspondait au profil estonien des maladies, ont utilisé des données recueillies régulièrement en Estonie et ils ont utilisé des coefficients de pondération selon l’incapacité en s’inspirant des évaluations nationales de la gravité des maladies. De plus, ils ont ajusté les objectifs non seulement pour réduire la charge des maladies en général, mais aussi pour réduire les inégalités et améliorer la qualité de vie liée à la santé (Lai et autres, 2009). Comme il a déjà été mentionné, les chercheurs de l’étude ONBOIDS ont adopté une approche très semblable visant à « localiser » la mesure de la charge des maladies en Ontario. Ces exemples pourraient servir à éclairer les personnes qui adoptent l’approche CMM et ses mesures, bien qu’une considération critique de l’applicabilité de toute méthode et mesure d’évaluation de la santé à un contexte particulier en matière de politique pourrait s’avérer importante.
Comment peut-on élargir le concept et les mesures de la charge pour aller au-delà des troubles définis par le milieu de la santé?
Les chercheurs des CDC américains ont qualifié l’approche courante à la charge comme étant étroite et trop axée sur la mortalité et la morbidité (Centres for Disease Control and Prevention, s. d.). On voit qu’un paradigme biomédical domine dans une bonne partie du discours sur la charge. De nombreuses évaluations sur la santé des populations définissent toujours la santé en fonction de signes cliniques et des effets néfastes sur la santé diagnostiqués par des médecins. Selon Thacker et autres, on a depuis longtemps utilisé la définition de la santé de l’OMS soit que la « santé est un état de complet bien-être physique, mental et social, et ne consiste pas seulement en une absence de maladie ou d’infirmité » et pourtant les dimensions positives et sociales auxquelles elle revoie ne sont pas représentées par les indicateurs de la charge (Thacker, 2006). Ce ne sont que les aspects négatifs qui sont quantifiés. Thacker et autres laissent entendre qu’il existe un besoin de se pencher sur les aspects de la santé qui sont un reflet de la qualité de vie visée par les personnes, sur les activités qui protègent la santé publique et sur le capital social ou sur les conditions et les rapports qui offrent un soutien à la santé. Dans leur oeuvre rédigée en 2006, les auteurs notaient l’intention des CDC à l’époque d’étudier davantage ces indicateurs non traditionnels de la charge.
Est-ce qu’une attention est accordée à l’importance de réduire la charge inéquitable?
Dans un article, David Mowat affirmait que la mesure de l’ensemble de l’état de santé des populations canadiennes cachait des inégalités importantes telles qu’un taux de prévalence de tuberculose huit fois plus élevé chez les Autochtones canadiens. Il continuait en soulignant le rôle important de la santé publique dans la réduction des inégalités en matière de santé (Mowat et Butler-Jones, 2007). Ce point de vue se fait l’écho d’un document de travail de l’OMS sur des approches aux inégalités sociales en santé qui suggérait que les politiques sur la santé des populations devraient viser le double objectif de promouvoir les progrès en matière de santé dans l’ensemble de la population et de réduire les inégalités de santé (Whitehead, 1992). Gold et collègues ont mis en évidence un dilemme éthique sans solution qui est que certaines mesures agrégées de la santé (p. ex., les AVAQ) ayant été formées par une théorie sociologique pratique, sont basées sur l’hypothèse que les politiques devraient viser les meilleurs résultats pour le plus grand nombre de personnes (Gold et autres, 2002). Cependant, il se pourrait qu’on atteigne une meilleure équité en n’avantageant le plus possible qu’un certain nombre de personnes sur lesquelles la charge des maladies pèse le plus lourdement. Un autre défi qui fait obstacle à la réduction des inégalités des maladies infectieuses pourrait être que les études de ce domaine n’ont pas joui de la même popularité que les études sur certaines maladies chroniques (p. ex., Marmot, 2004).
Comment peut-on mieux représenter les facteurs structurels et en amont auxquels on attribue la charge des maladies?
Les déterminants de la santé en amont, structurels et sociaux pourraient faire l’objet d’autres études relativement aux maladies infectieuses. Par exemple, on pourrait mieux comprendre les déterminants de la charge de la grippe dans les collectivités éloignées et isolées des Premières nations en appréciant le lien entre les déterminants et le logement de moindre qualité, les conditions de surpeuplement, une exposition forte aux polluants de l’air intérieur des locaux, l’accès inadéquat à une infrastructure essentielle, le taux de prévalence élevé de conditions physiques prédisposantes et aux comorbidités (Moghadas, 2014). On pourrait également considérer les effets de l’insécurité alimentaire. De plus, il faut mieux comprendre les déterminants qui ont une influence sur la susceptibilité aux maladies, un domaine qui mérite plus d’attention de la part des décideurs de la santé publique.
Il y a presque 15 ans que les CDC avaient investi dans la recherche sur les mesures de la charge non traditionnelles, sur les conditions sociales et environnementales en amont qui influaient sur le risque de maladie ou de blessure. Selon Thacker et collègues, certaines mesures existent dans ce domaine, bien qu’elles soient toujours peu nombreuses. Dans leur oeuvre rédigée en 2006, les auteurs notaient que les facteurs étudiés comprenaient le capital social, les liens sociaux, la cohésion sociale, les bonnes relations entre pairs et les encadrements solides à l’école et au travail favorisant une vie saine. Il reste du travail à faire pour évaluer la faisabilité de la formulation de paramètres adéquats de la charge dans ces domaines (Thacker et autres, 2006).
Des mesures de la charge communes en aval : Que peut-on faire de plus pour inclure l’information sur les comorbidités?
Le fait de tenir compte des comorbidités dans les mesures de la charge des maladies pose des défis. En prenant l’exemple du FEMC, les auteurs du rapport font remarquer que les dépenses des soins hospitaliers ne correspondent pas aux comorbidités ce qui mène à la sous-estimation de certaines conditions. Les auteurs conviennent que les explications contenues dans les autorisations de sortie d’hôpital telles qu’elles figurent dans la majorité des bases de données sur les congés incluent des mentions de comorbidités et ils suggèrent que les versions futures pourraient comprendre des coefficients de pondération pour les dépenses selon les conditions primaires et les comorbidités.
Comment est-ce qu’on pourrait mieux représenter la gravité de la charge des maladies infectieuses?
Certaines mesures agrégées de la santé (p. ex., les AVAS) ont été intégrées à l’information sur la gravité en ajoutant des coefficients de pondération selon la gravité pour la période de temps vécue avec certaines conditions physiques. Cependant, la reconnaissance du caractère subjectif du jugement de la gravité a soulevé des questions sur la personne qui serait la mieux placée pour juger de la gravité d’une maladie. Serait-ce les cliniciens ou d’autres experts, ou encore, les personnes atteintes d’une maladie ou d’une blessure? Des personnes ont suggéré qu’un échantillonnage représentatif pourrait fournir une évaluation de la gravité plus exacte.
Dans l’ensemble, il arrive très peu souvent que les évaluations de la charge des maladies tiennent compte des mesures de gravité, fait qui, en partie, reflète les lacunes des systèmes de surveillance. Pour ce qui est de la grippe, les taux d’incidence ou d’attaque font souvent l’objet principal d’une évaluation de la santé plutôt que les indicateurs de maladies graves tels que les taux de sorties d’hôpital, les journées hospitalisées, les admissions aux soins intensifs ou les décès.
A-t-on suffisamment d’information sur la charge des maladies infectieuses chez les personnes âgées et les aînés?
Certaines approches à la mesure de la charge des maladies accordent moins d’importance aux retombées sur les personnes âgées et les aînés. Pourtant, la recherche des domaines de la gériatrie et de la gérontologie attire notre attention sur une diversité considérable qui relève du processus du vieillissement et sur les maladies évitables et l’incapacité chez les aînés. Étant donné qu’on se préoccupe du vieillissement de la population canadienne et qu’on prévoit que le coût des soins augmentera, il se pourrait qu’il soit de plus en plus important que les évaluations de santé soient plus réceptives à la charge par rapport aux groupes de personnes plus âgées dans le but de mieux comprendre les modes d’intervention de la part de la santé publique pour améliorer la qualité de vie. Pour ce qui est des maladies infectieuses, on a fait du VIH chez les personnes âgées un des domaines prioritaires pour mieux comprendre les possibilités qui permettraient d’améliorer davantage la qualité de vie. On associe la grippe chez les aînés avec des complications débilitantes et il faut qu’on se concentre davantage sur la charge de la grippe au sein de cette population en accordant une plus grande importance à l’efficacité des vaccins pour les personnes âgées de 65 ans et plus, et qu’on développe des vaccins qui produisent une meilleure mémoire immunitaire chez ce groupe.
Comment peut-on aborder les préjugés sexistes dans l’évaluation de la charge des maladies infectieuses?
Comme le rapport du FEMC le mentionne, les coûts indirects des maladies qui correspondent aux hommes ont tendance à être plus élevés que ceux qui correspondent aux femmes, bien que, comme les auteurs le suggèrent, cette divergence s’explique probablement par les omissions dans la mesure et les sources de données. La perte de production du travail non rémunéré et les soins offerts aux personnes malades ou blessées ne sont pas représentés, et ce fait mène à un préjugé systémique de la mesure de la charge par rapport aux femmes qui accordent plus de temps à ces activités. En outre, quoique les femmes s’absentent plus souvent de leur emploi (c.-à-d. le travail rémunéré) en raison de maladie que les hommes, le faible salaire des femmes l’emporte sur l’effet du nombre supérieur de journées de congé de maladie dans l’évaluation de la perte de production (Santé Canada, 2014). On fait aussi allusion à une double charge puisque les femmes font face à l’insuffisance de revenu de manière disproportionnée et leur salaire plus faible fait qu’elles sont plus vulnérables aux pertes salariales dans les situations où elles s’occupent d’autres personnes qui sont malades.
A-t-on abordé de manière adéquate la question de la charge des maladies infectieuses chez les personnes soignantes?
L’offre de soins non rémunérés et naturels représente une contribution appréciable mais peu reconnue à l’économie canadienne et à la santé publique. Pourtant le fardeau de s’occuper de personnes malades et blessées aussi bien que le fardeau que doit subir la personne soignée en conséquence de la maladie de la personne soignante, ne sont pas souvent représentés. Les charges physique, affective, sociale et financière reviennent souvent aux personnes qui offrent des soins sans être rémunérées malgré le fait qu’on reconnaisse plusieurs facteurs qui exercent une influence médiatrice sur le fardeau de l’aidant naturel et on a déjà reconnu la satisfaction qu’on peut en tirer (Amstrong et Kit, 2004). On a étudié le rapport entre l’offre de soins et le risque de contracter des maladies infectieuses, y compris une étude menée par Kiekolt-Glaser et autres, qui ont trouvé que les aidants plus âgés avaient une réponse immunitaire beaucoup plus faible au vaccin contre la grippe que les témoins (c’est semblable pour les antécédents vaccinaux, l’âge, le revenu et les maladies chroniques) ce qui est cohérent avec les études expérimentales sur la modulation immunitaire liée au stress (Kiecolt-Glaser et autres, 1991). En incorporant l’analyse comparative entre les sexes, certains chercheurs ont aussi soulevé des questions très importantes sur les effets de la réduction des effectifs et la privatisation des services de soins de santé sur les aidants naturels qui sont majoritairement des femmes, y compris la demande accrue et la détérioration des conditions dans lesquelles on offre des soins non rémunérés et rémunérés (Armstrong et autres, 2001). Donc, pour assurer le suivi de la charge de l’offre des soins, il faut de l’information sur l’état de santé de la population (p. ex., combien de personnes nécessitent des soins naturels pour se remettre de la grippe et de ses complications ou combien de personnes n’ont pas de soins parce que l’aidant naturel est malade) et sur la charge des ressources en matière de santé qui risque de tomber sur les aidants naturels (p. ex., les services d’urgence encombrés lors des périodes de pic d’une grippe pandémique).
A-t-on représenté la charge des interventions du milieu de la santé publique?
Les interventions et stratégies en santé publique ont leurs propres coûts qui pourraient ne pas avoir été adéquatement pris en ligne de compte. Par exemple, les fermetures d’école ont des conséquences nuisibles sur le plan social et économique. Parmi les facteurs figurent le manque d’études scolaires, la réorganisation de l’horaire des membres de la famille, la difficulté à trouver des solutions de rechange pour ce qui est de la garde des enfants, une production de la main-d’oeuvre réduite, une capacité réduite si les professionnels du système de la santé doivent rester à la maison pour s’occuper de leurs enfants, la perte de salaire, la crainte de contracter une infection et le coût des services de garderie (Isfeld-Kiely et Moghadas, 2014) . De plus, on ne peut présumer que l’efficacité et le caractère adéquat du traitement médical ou des interventions soient uniformes pour toutes les personnes et ils pourraient varier en fonction des caractéristiques biologiques d’une personne telles que le sexe, mais surtout en fonction des facteurs sociaux qui comprennent le sexe, le groupe ethnique ou culturel, le lieu de résidence rural ou éloigné, ou le niveau du revenu.
Comment peut-on représenter l’« allègement de la charge » et les réussites de la santé publique?
Selon Thacker et autres, les rôles de prévention et de protection de la santé du milieu de la santé publique (p. ex., l’immunisation) sont importants et pourtant la charge, comme mesure du déficit de santé, ne peut estimer leurs effets (Thacker et autres, 2006). Curry et autres nous fournissent un exemple qui indique que lorsqu’il existe une faible charge des maladies réalisée au moyen d’interventions efficaces de la santé publique, il se pourrait qu’on ait besoin d’un financement soutenu ou accru pour maintenir la capacité et éviter la réapparition des maladies. Il importe de tenir compte des programmes réussis dans la priorisation des interventions de santé publique et il faut des marqueurs de données et des discussions qui portent sur les politiques. Les auteurs proposent un ensemble de mesures enrichies qui refléteraient les rôles de la santé publique dans la prévention et la protection de la santé (Curry et autres, 2006).. Les auteurs de l’étude ONBOIDS ont soulevé la même question et ont proposé qu’une étude complémentaire importante doive inclure une enquête sur le nombre de vies sauvées et sur la réduction du taux de morbidité au moyen de diverses stratégies d’intervention telles que la vaccination (Kwong et autres, 2010).
Conclusion et étapes suivantes
Dans le présent document de travail, le CCNMI a commencé à sonder et à schématiser la notion conceptuelle de la charge des maladies dans le but d’en arriver à une connaissance approfondie et large de la signification qu’on a conférée à ce terme, et d’étudier des exemples d’application courante du domaine de la recherche dans l’élaboration des programmes et des politiques. Les indicateurs de la charge des maladies sont prometteurs pour ce qui est des avantages pratiques qui découlent de la priorisation des mesures d’intervention en santé publique liées aux difficultés qui mènent à des charges, de l’orientation de l’utilisation optimale du peu de ressources et de la poursuite d’objectifs qui visent une meilleure équité des résultats en matière de santé. Néanmoins, il est peu probable que son potentiel soit réalisé sans une meilleure collaboration entre les intervenants et sans une approche plus intégrée, systématique et transparente.
On a vu une prolifération des termes liés à la charge dans la documentation universitaire. Ces termes font allusion aux dimensions largement variées de la charge, bien que la définition et la validation des indicateurs soient peut-être absentes. Les dimensions sociales de la charge ne font pas l’objet de la même attention que les résultats biomédicaux et semblent figurer plus souvent dans les discussions sur les catégories de maladie spéciale ou sur les facteurs de risque. Elles ne semblent pas être intégrées aux initiatives concernant de multiples maladies à plus grande échelle. Les déterminants structuraux des considérations de santé et d’équité ne sont pas dominants dans le discours de la charge des maladies, tandis que la consolidation des méthodes et paramètres semble retenir une plus grande attention.
Au fil du temps, on a vu l’évolution des concepts et méthodes clés servant à la mesure qui ont aidé à l’application de l’information à la charge des maladies pour servir à des fins pratiques. Quoique chaque approche ait ses limites et ses omissions, leur évaluation critique a entraîné des améliorations dans la collecte et l’analyse des données. Le perfectionnement de ce travail a mené à des révélations importantes sur les tendances des maladies et sur l’omission du coût des maladies chroniques et non transmissibles.
Malgré le fait qu’il faut convenir que la portée de cet examen ait été limitée, il indique qu’un grand éventail de méthodes est actuellement utilisé pour estimer la charge des maladies dans le cadre d’initiatives de programme et de politique. De nombreux projets se limitent à l’utilisation du simple nombre de cas. Souvent, on se concentre sur une maladie ou sur un facteur de risque, bien que la portée de la mesure puisse varier en fonction du niveau administratif qui correspond à la politique. Les indicateurs de mortalité dominent toujours et la perspective biomédicale persiste. L’approche de la CMM ajoute une valeur ajustée à l’équation pour les années vécues avec une incapacité, permet de faire des comparaisons par maladie et par région, et appuie l’analyse des principaux facteurs de risque. Pourtant, le fait qu’il soit axé sur des facteurs importants à la santé des personnes des pays en voie de développement soulève des questions par rapport à son utilité dans la priorisation des questions de santé au Canada. Dans l’ensemble, le travail lié à la mesure de la charge des maladies reste fragmenté et isolé.
D’après cet examen préliminaire, il semble que les objectifs d’évaluation de la charge des maladies seraient mieux servis par une définition explicite de ce concept fondamental et de son but précis, définition qu’on appliquerait à l’évaluation de la charge. Souvent, on a du mal à déterminer si l’objectif de l’initiative de la charge des maladies fut atteint, si le captage de l’information fut réussi et par quels moyens cette information a mené à des mesures concrètes par la suite. De plus, il y a un besoin d’élargir le concept de la charge au-delà du ressort de la biomédecine. On pourrait commencer à répondre à ce besoin en assurant une meilleure sensibilisation aux diverses dimensions de la charge étudiées par l’ensemble des disciplines liées à la santé des populations et aux autres groupes touchés par la maladie d’une personne (c.-à-d. la famille, le milieu social, la collectivité ou la société). Bien qu’on ait vu un certain niveau d’innovation dans les méthodes de mesure de la charge non traditionnelles (p. ex., le capital social), il se peut que les efforts déployés pour suivre les progrès et publier les conclusions ne soient plus utilisés.
Comme objectif à long terme, ce travail fondamental vise à élaborer un cadre pleinement agencé qui orienterait la mesure de la charge des maladies et la priorisation de la prise de décision en santé publique, plus particulièrement dans le domaine des maladies infectieuses en santé publique. À cette fin, le CCNMI invite la population et les intervenants de la santé publique à considérer les idées et les questions soulevées dans le cadre du présent document de travail et de nous faire part de leurs commentaires. On prévoit également des mécanismes spéciaux qui solliciteraient une grande participation, y compris la mise sur pied d’un groupe consultatif et l’organisation d’un atelier. La consultation des professionnels de la santé publique au sein des populations assure une approche plus pratique et pertinente.
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