Comprendre la mesure de la charge mondiale de morbidité

Publication Summary

Le présent document a été rédigé dans le cadre d’un programme du Centre de collaboration nationale des maladies infectieuses (CCNMI) dont l’objectif est de mieux comprendre la charge des maladies infectieuses au Canada. Il contribue également à un programme parallèle du CCNMI portant plus particulièrement sur la grippe et les syndromes grippaux. La partie 1 donne un aperçu des éléments pris en compte pour calculer la charge de morbidité en examinant les points forts et les limites des différentes approches. La partie 2 offre un résumé détaillé des documents clés qui ont fait l’analyse des méthodes utilisées dans l’étude sur la CMM de 2010 et elle tient compte des approches et des résultats de l’étude ONBOIDS.

Août 2013 : révisé en février 2015

Introduction

Face au manque de ressources, à la croissance constante des besoins en soins de santé, au développement de nouveaux traitements et de modes d’intervention et à l’augmentation des coûts de santé, les paliers de gouvernement des niveaux national et local doivent établir des priorités pour la recherche, et prendre des décisions face aux investissements dans le système de santé et aux interventions médicales offertes (1). Il est important pour les processus décisionnels et de planification de disposer d’une description comparative cohérente et systématique de la charge des maladies et des facteurs de risque qui y contribuent (2). Les indicateurs de santé des populations sont répandus et s’utilisent beaucoup car ils simplifient la complexité épidémiologique, la rendent intelligible et peuvent servir à l’élaboration de stratégies de prévention efficaces (1, 2).

Liste des abréviations

AVAI : Année de vie ajustée en fonction de l’incapacité

AVAQ : Année de vie ajustée en fonction de la qualité

AVAS : Année de vie ajustée en fonction de l’état de santé

AVI : Années vécues avec une incapacité

AVP : Années de vie perdues en raison d’un décès prématuré

CDC : Centers for Disease Control and Prevention (Centres de contrôle et de prévention des maladies des États-Unis)

CIM : Classification statistique internationale des maladies et des problèmes de santé connexes

CLAMES : Classification and Measurement System of Functional Health (Système de classification et de mesure de la santé fonctionnelle)

CMM : Charge mondiale de morbidité

EAFR : Équivalent d’année de fonctionnement réduit

EVAS : Espérance de vie ajustée en fonction de l’état de santé

OMS : Organisation mondiale de la Santé

ONBOIDS : Ontario Burden of Infectious Disease Study (Étude sur le fardeau des maladies infectieuses en Ontario)

PI : Coefficient de pondération de l’incapacité

QVLS : Qualité de vie liée à la santé

Les indicateurs de la santé des populations peuvent s’estimer à l’échelle internationale, nationale ou locale. Ils servent à trois usages essentiels :

• comparer la santé des populations d’une collectivité à l’autre et au fil du temps;

• dresser un tableau complet des maladies, blessures et facteurs de risque qui nuisent le plus à la santé d’une population donnée, y compris les problèmes sanitaires les plus importants et s’ils s’améliorent ou s’aggravent avec le temps (c’est sans doute l’usage le plus courant des indicateurs de santé);

• déterminer quelles informations ou sources d’informations sont manquantes, incertaines ou de mauvaise qualité (3).

Pour être complet et approfondi, un rapport sur la charge de morbidité doit se fonder sur un ensemble cohérent d’estimations de la mortalité et de la morbidité. C’est la raison pour laquelle le programme d’évaluation de la charge mondiale de morbidité (CMM) imputable aux maladies, aux blessures et aux facteurs de risque vise à mesurer la santé des populations dans le monde entier. En 1993, la Banque mondiale a publié un rapport intitulé Investir dans la santé et a mis au point des méthodes Introduction pour calculer la CMM de 1990. Les conclusions de ce rapport ont été publiées en 1996 et comprenaient une évaluation de la charge mondiale de morbidité imputable à 107 maladies et blessures et à 10 facteurs de risque (2, 4). L’Organisation mondiale de la Santé (OMS) a ensuite produit des estimations de la CMM pour les années 1999, 2000, 2001 et 2004, mais ces analyses ne prenaient en compte qu’une partie des problèmes de santé (pathologies résultant d’une maladie ou d’un traumat isme) et sont donc considérées comme des comptes rendus partiels (2). Depuis 2000, la CMM se calcule en estimant l’incapacité et la mortalité imputables à une maladie particulière ou à plusieurs maladies (2). L’étude sur la CMM, publiée en 2012, se veut un long rapport compréhensif sur la charge mondiale de morbidité du monde entier. Deux années plus tôt, on publiait l’étude ONBOIDS (Ontario Burden of Infectious Diseases Study). On a utilisé une approche quelque peu différente pour calculer les mesures agrégées de la population de cette province.

Le présent document a été rédigé dans le cadre d’un programme du Centre de collaboration nationale des maladies infectieuses (CCNMI) dont l’objectif est de mieux comprendre la ch arge des maladies infectieuses au Canada. Il contribue également à un programme parallèle du CCNMI portant plus particulièrement sur la grippe et les syndromes grippaux. La partie 1 donne un aperçu des éléments pris en compte pour calculer la charge de morbidité en examinant les points forts et les limites des différentes approches. La partie 2 offre un résumé détaillé des documents clés qui ont fait l’analyse des méthodes utilisées dans l’étude sur la CMM de 2010 et elle tient compte des approches et des résultats de l’étude ONBOIDS.

Partie 1 : Calculs utilisés pour mesurer la charge de morbidité

Alors que chaque personne sait normalement quand elle est malade ou en bonne santé, il n’y a pas de consensus sur la façon de définir la santé d’une population ou d’estimer dans quelle mesure elle est touchée par une maladie. Pendant de nombreuses années, la santé des populations s’évaluait uniquement en fonction d’indicateurs de mortalité. En d’autres mots, on évaluait la santé des populations en utilisant le nombre de mortalités et les raisons, c’est-à-dire les causes et le taux de mortalité. Bien que les indicateurs de mortalité soient utiles, ils n’apportent pas toutes les informations nécessaires pour juger de la santé d’une population ou pour comparer différentes méthodes d’intervention qui visent à protéger ou à améliorer la santé (5). Plus précisément, ils ne tiennent pas compte des effets de la maladie, qui s’échelonnent parfois sur des années, avant le décès ou le rétablissement. L’utilisation de mesures agrégées donne une meilleure appréciation de la santé d’une population puisqu’elles comprennent des estimations sur les effets de la morbidité et de la mortalité.

Les années de vie ajustées en fonction de l’état de santé (AVAS), que l’anglais appelle HALY (Health-Adjusted Life Years), servent de mesures agrégées pour estimer la charge de morbidité dans une population. Elles prennent en compte simultanément les effets de la mortalité (décès) et ce ux de la morbidité (maladie). Les AVAS, terme qui chapeaute de nombreuses mesures agrégées, permettent de comparer les maladies, les interventions et les populations (5). Les données sont normalement présentées par âge, par sexe et par région.

Les AVAS associées à une maladie se calculent en trois étapes. Selon la description de Gold et al., (5) les chercheurs doivent :

  1. décrire l’état de santé ou les troubles associés au pathogène ou à la maladie faisant l’objet de l’analyse;
  2. évaluer l’état de santé et lui attribuer des coefficients de pondération;
  3. combiner le coefficient de chaque état de santé aux estimations d’espérance de vie (5).

Chacune de ces étapes intègre des méthodes et des choix de nature sociétale qui seront décrits plus loin et qui ont un effet sur l’estimation finale. Les composantes des AVAS relevant de la morbidité constituent la qualité de vie liée à la santé (QVLS) et elles sont représentées en fonction d’une échelle allant de zéro à 1. Deux mesures communes des AVAS soit les années de vie ajustées en fonction de la qualité (AVAQ) et les années de vie ajustées en fonction de l’incapacité (AVAI) sont décrites en détail ci-dessous. Comme on le verra, les estimations des AVAQ et des AVAI servent à des fins différentes et utilisent des approches différentes dans le calcul de la QVLS associée à des états de maladie ou à une bonne santé (5).

1.1 Estimation des années de vie ajustées en fonction de la qualité (AVAQ)

À propos des AVAQ

Les années de vie ajustées en fonction de la qualité s’emploient souvent pour analyser les interventions cliniques.

L’objectif est de maximiser la « bonne » qualité de vie.

Les AVAQ sont pondérées par des coefficients d’utilité (0 = décès et 1 = parfaite santé) générés par des méthodes comme celle du pari standard, qui consiste à demander aux personnes interrogées d’indiquer quels états de santé elles trouvent préférables.

Les AVAQ représentent les valeurs statistiques des résultats en matière de santé qui sont à la fois qualitatives et quantitatives. Mises au point par des économistes à la fin des années 1960, les AVAQ servent surtout à analyser la rentabilité des interventions cliniques et à améliorer le bien-être social (5). La méthode des AVAQ peut estimer le nombre d’années de vie vécues et la qualité de vie qu’ajouterait une intervention. La prise en compte du coût d’une intervention donne un rap port coût-utilité Partie 1 : Calculs utilisés pour mesurer la charge de morbidité indiquant la dépense requise pour produire une année de parfaite santé (5), la perception d’une vie sans douleur ou maladie (5). Dans un contexte de ressources limitées, les AVAQ mesurent « l’utilité » des interventions – ses effets possibles sur le nombre d’années et la qualité de vie – et servent à déterminer où allouer les ressources (5, 6).

Dans les estimations d’AVAQ, les mesures de QVLS (ou coefficient d’utilité) ne sont pas liées à une maladie particulière, mais elles se fondent sur les valeurs que les personnes attribuent à leur propre état de santé (facteurs de pondération des patients) ou que d’autres attribuent à un état de santé particulier (p. ex., un échantillon représentatif de la population, des chercheurs du projet de recherche ou des professionnels du milieu de la santé) (facteurs de pondération communautaires) (5). Les mesures de QVL S sont généralement produites par des méthodes de l’arbitrage temporel ou du pari standard. En d’autres mots, ces méthodes consistent à demander aux personnes interrogées d’évaluer les états de santé en indiquant clairement ce qu’elles seraient prêtes à sacrifier pour revenir d’un mauvais état de santé qui leur est décrit à une santé parfaite, sur une échelle où une année de parfaite santé vaut 1 et un décès vaut 0. Si l’année n’est pas vécue en parfaite santé (par exemple à cause d’une douleur chronique), on lui attribue une valeur située entre 1 et 0. Ce score intègre cinq dimensions relatives à la qualité de vie : a) mobilité; b) douleur ou inconfort; c) capacité à prendre soin de soi; d) angoisse ou dépression; e) activités habituelles (6). Ainsi, les estimations d’AVAQ intègrent les aspects biomédicaux et psychosociaux de la charge d’une maladie.

Les AVAQ peuvent mesurer à la fois l’efficacité et la rentabilité d’une intervention. En effet, lorsqu’une intervention peut aider quelqu’un à vivre plus longtemps, mais entraîne des effe ts secondaires lourds (p. ex., handicap permanent entraîné par des traitements de radio ou de chimio liés au cancer) alors qu’une autre intervention pourrait ne pas prolonger sa vie, mais améliorera sa qualité de vie (p. ex., gestion de la douleur dans le cadre de soins palliatifs). Cette mesure peut nous donner une idée du nombre de mois ou d’années de vie supplémentaires d’assez bonne qualité que chaque intervention peut apporter (7). Les AVAQ se calculent en multipliant le nombre d’années de vie ajoutées par la mesure d’utilité (QVLS) (6). La rentabilité d’une intervention s’estime quant à elle en divisant son coût par le nombre d’AVAQ (6).

AVAQ = Nombre d’années de vie ajoutées × QVLS

1.2 Estimation des années de vie ajustées en fonction de l’incapacité (AVAI)

Mises au point dans les années 1990 par la Banque mondiale et l’Université Harvard, les AVAI servent à quantifi er la charge de la maladie et de l’incapacité dans les populations. Elles mesurent l’écart entre la santé actuelle de la population et une situation idéale, c’est-à-dire où chacun vivrait en parfaite santé jusqu’à l’âge d’espérance de vie standard (8).

AVAIfinalFR
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Figure 1. La méthode des AVAI

La méthode des AVAI se fonde sur l’acceptation de l’idée que le temps est l’indicateur qui convient le mieux pour mesurer la charge de morbidité et comprend le temps vécu avec une incapacité et le temps perdu du fait d’une mortalité prématurée (8) :

AVAI = Années de vie perdues (AVP) en raison d’un décès prématuré + Années vécues avec une incapacité (AVI)

Les AVP correspondent au nombre de décès multiplié par une espérance de vie standard.

AVP = N x V

Où :

N = nombre de décès à l’âge x
V = espérance de vie standard, en années, à l’âge x

Les AVI se mesurent en multipliant le nombre de cas d’incapacité (cas incidents) par la durée moyenne de la maladie ou de l’incapacité et par des coefficients de pondération de l’incapacité (PI) (8).

AVI = I x PI x D

Où :

I = nombre de cas incidents
PI = coefficient de pondération de l’incapacité
D = durée moyenne du cas jusqu’à la rémission ou au décès, en années (9)

L’étude sur la CMM de 2010 a utilisé un calcul des AVI fondé sur la prévalence plutôt que sur l’incidence de l’incapacité :

AVI = P x PI

Où :

P = nombre de cas prévalents
PI = coefficient de pondération de l’incapacité

La QVLS ou les coefficients de pondération de l’incapacité utilisés dans les AVAI servent à conceptualiser l es p roblèmes de santé non mortels tels qu’ils sont décrits dans la Classification statistique internationale des maladies et des problèmes de santé connexes (CIM) (10). Une fois qu’une affection, incapacité ou maladie est décrite, on lui attribue une valeur négative en utilisant une échelle de 0 à 1, où 0 correspond à une santé parfaite et 1 au décès. (Notez qu’il s’agit de l’inverse de l’échelle utilisée pour les AVAQ.) Les coefficients de pondération de la QVLS reflètent les préférences des personnes ou d’une société pour ce qui est de chaque état de santé. Comme pour les AVAQ, les coefficients de pondération de la QVLS dans les AVAI reflètent les préférences des individus ou de la société à l’égard de chaque état de santé. Ces préférences se déterminent en demandant aux personnes interrogées d’attribuer des coefficients de pondération de l’incapacité à une maladie ou affection particulière en utilisant une méthode d’arbitrage parmi plusieurs (5).

À propos des AVAI

Les années de vie ajustées en fonction de l’incapacité constituent une mesure absolue qui s’emploie pour comparer la charge de morbidité des populations. L’objectif est de réduire au strict minimum les « mauvaises » pertes de santé. Les AVAI sont pondérées par des coefficients d’incapacité (0 = parfaite santé et 1 = décès) générés dans le cadre de consultations avec des cliniciens, avec des experts ou avec la collectivité.

En plus des coefficients de pondération de l’incapacité, les estimations des AVAI ont traditionnellement intégré une pondération en fonction de l’âge. Ces coefficients de pondération favorisaient les jeunes adultes qui étaient « productifs » dans leurs collectivités et qui contribuaient à l’économie, au détriment des très jeunes et des adultes plus âgés, qui sont plus dépendants. Ces coefficients de pondération en fonction de l’âge ont été critiqués et ne sont plus utilisés dans l’étude sur la CMM de 2010 puisque cette façon de faire diminue la valeur des personnes « non productives » au sein de la société.

Les coefficients de pondération fondés sur l’incapacité et sur l’âge ne sont pas les seuls coefficients de pondération à caractère sociétal pouvant être pris en compte dans les estimations d’AVAI. L’ouvrage de Murray et Lopez (4) ont fait valoir d’autres considérations qui ont des retombées sur les moyens et les raisons utilisés pour arriver aux estimations des AVAI et d’autres AVAS, y compris les suivants :

• Pendant combien longtemps une personne « devraitelle » vivre?

• Une année de vie en bonne santé maintenant vautelle plus pour la société qu’une année gagnée à un moment futur? (Cet arbitrage temporel est appelé « actualisation ».)

• Accorde-t-on plus de valeur à la perte d’années de vies en bonne santé à certains âges qu’à d’autres (pondération en fonction de l’âge)?

• Tous les gens sont-ils égaux? Est-ce que toutes les personnes du même âge perdent la même quantité de santé quand elles meurent? (4, 8)

Les valeurs attribuées à ces questions sociétales font l’objet de controverse comme on le verra plus loin et par conséquent, ce ne sont pas toutes les estimations d’AVAI qui comprennent des coefficients de pondération de l’incapacité (voir section 1.4.2). Même si elles ne sont pas parfaites, les estimations d’AVAI sont aujourd’hui la méthode la plus courante pour déterminer les AVAS dans les évaluations de charge de morbidité, car on considère qu’elles constituent les meilleurs indicateurs actuellement disponibles pour établir les priorités dans l’allocation des ressources (9).

1.3 Données requises pour calculer la charge de morbidité

La QVLS dans les AVAQ et les AVAI

Les valeurs de QVLS utilisées dans les AVAQ et AVAI sont inversées : les AVAQ servent à mesurer des équivalents d’années vécues en bonne santé, tandis que les AVAI servent à mesurer la perte de santé.

Dans les AVAQ, les coefficients de pondération QVLS correspondent à la valeur attribuée à un état de santé.

Dans les AVAI, les coefficients de pondération QVLS correspondent à des maladies particulières.

Les AVAS, y compris les AVAI et les AVAQ, se fondent sur les données épidémiologiques les plus récentes. La mesure des AVAS nécessite les données suivantes :

• Mortalité (nombre de décès)

• Incidence de la maladie

• Distribution des états de santé

• Durée des états de santé

• Coefficients de pondération associés à chaque état de santé

Les données requises peuvent provenir de différentes sources : registres d’état civil, registres des maladies à déclaration obligatoire, utilisation des soins de santé, recensements, surveillance nationale et locale, autopsies verbales (dans les pays où elles sont utilisées), dossiers d’hospitalisation, enquêtes (p. ex., sécurité routière, auprès des établissements, auprès des ménages, etc.), rapports de police, certificats de décès, registres mortuaires. (Il est important de noter que les conditions de l’état de santé sont souvent sous déclarées ou sous-diagnostiquées.) Idéalement, toutes les données doivent être valides, disponibles au moment opportun, d’origine locale et réparties par âge et par sexe (10).

Le calcul de la charge de morbidité peut présenter des défis puisqu’on doit avoir accès aux données de différentes sources. Le calcul de la charge de morbidité des pays en voie de développement peut donc s’avérer particulièrement difficile. L’un des principaux défis du calcul de la charge de morbidité est d’assurer que les données des différentes sources et des différents pays sont de la même qualité. Pour faciliter ce processus, Lozano et al. ont employé une méthode en six étapes, présentée brièvement dans l’encadré ci-dessous, pour évaluer et améliorer la qualité des données afin d’assurer leur exhaustivité et l’exactitude diagnostique, pour traiter les questions de données manquantes et de variations stochastiques, ainsi que pour établir la cause probable du décès par extrapolation (10). Pour en savoir plus sur la méthode entière, reportez-vous à l’ouvrage de Lozano et al. (10).

Calcul de la charge mondiale de morbidité

L’article de Lozano et al. présente les six étapes suivies pour calculer la charge de morbidité dans l’étude sur la CMM de 2010 :

Étape 1 : Évaluation de l’exhaustivité de l’enregistrement des décès dans chaque source

Comme dans certains pays les registres ou certificats de décès sont incomplets, en particulier pour les enfants de moins de cinq ans, on a utilisé un certain nombre de modèles statistiques pour évaluer l’exhaustivité de l’enregistrement des décès.

Étape 2 : Report des données entre les révisions et variantes de la CIM

Les données d’état civil de 1980 à 2010 sont basées sur des versions différentes de la CIM. Les données ont été reportées pour montrer ces versions et les révisions de la CIM-9 et de la CIM-10, ainsi que la CIM-9 de base (liste de codes de base).

Étape 3 : Redistribution des décès affectés à des codes erronés

Les codes erronés figurant dans les ensembles de données correspondent à des causes officielles de décès qui n’auraient pas dû être catégorisées ainsi. Cette étape réattribue les décès mal codés à des causes sous-jacentes probables.

Étape 4 : Répartition par groupe d’âge et par sexe

Les différentes sources de données utilisent des groupes d’âge différents. Pour assurer la cohérence de l’étude sur la CMM de 2010, on a affecté les données à des groupes d’âge standard (0 à 4; 5 à 14; 15 à 44; 45 à 59; 60 ou plus). Lorsque les registres de décès combinaient les deux sexes, on a réaffecté les données à des groupes « âge-sexe ».

Étape 5 : Lissage des données

Les variations stochastiques font que, pour certaines années et dans certains pays, il peut y avoir très peu de décès déclarés pour une cause donnée (0 à 2). Cette étape utilise un algorithme de lissage standardisé pour réduire la distorsion que ces faibles nombres de décès introduisent dans le calcul de la CMM.

Étape 6 : Données aberrantes

En dépit des efforts déployés pour assurer la qualité et la comparabilité des données, il se peut que certaines paraissent toujours complètement aberrantes. Lorsque les données d’une maladie particulière présentent une grande incohérence avec d’autres sources de données provenant du même pays à la même époque, ces données sont considérées comme aberrantes et sont exclues de l’analyse.

Source: Lozano et al. (10)

1.4 Limites, avantages et inconvénients des AVAQ et des AVAI

Le calcul de la charge de morbidité à partir des AVAQ et des AVAI apporte des renseignements importants aux responsables des politiques. Cependant, les AVAQ et les AVAI évaluent des aspects de la santé différents et se recueillent chez des populations différentes. Ces deux cadres traitent aussi l’espérance de vie de manières divergentes. Il est important de comprendre les limites, avantages et inconvénients de ces deux méthodes pour prendre les décisions qui conviennent quand on calcule la charge de morbidité.

1.4.1 Les AVAQ

Bien que les AVAQ donnent une idée des avantages qu’apporte une intervention médicale en termes de qualité de vie, leur utilité est sujette à controverse. La principale question qui se pose est la suivante : peut-on vraiment définir la santé parfaite? En effet, certains états de santé peuvent être pires que la mort, à en croire la perception du public, qui varie aussi en fonction de l ’héritage culturel de la population. En outre, les AVAQ ne constituent pas un indicateur assez sensible lorsqu’il s’agit de comparer deux médicaments concurrents mais similaires ou d’évaluer un traitement pour des problèmes de santé moins graves (6).

L’effet des maladies chroniques (pour lesquelles la qualité de vie est un problème majeur, mais pas la survie) est lui aussi difficile à estimer au moyen des AVAQ, ce qui a entraîné dans certains cas une tendance à employer des mesures de qualité de vie propres aux différentes maladies telles que les AVAI. De même, comme les AVAQ reposent sur des dimensions liées à l’âge, au contexte et aux responsabilités à différents stades de vie, elles peuvent être difficiles à quantifier si aucune mesure de prévention n’a d’effet à court terme sur le problème de santé. Les AVAQ sont également critiquées pour l’absence de coefficients de pondération associés aux problèmes de santé mentale ou émotionnelle et à leur impact sur la qualité de vie des malades et de leurs familles (6).

Malgré ces limites, l’estimation des AVAQ est l’une des rares méthodes utilisables pour comparer des interventions ou des domaines de la pathologie. Lorsqu’il s’agit de décider comment allouer les ressources, l’utilisation des AVAQ aide à choisir entre les traitements médicaux concurrents (6). Mais l’ouvrage de Malek rappelle que si les AVAQ peuvent servir à éclairer la prise de décision, il ne faut pas les utiliser isolément, car elles ne reflètent pas tous les domaines et aspects des soins de santé (11).

1.4.2. Les AVAI

Dans le calcul des AVAI, la QVLS est associée à une maladie particulière plutôt qu’à un état de santé. Cela est destiné à éviter une auto-évaluation de la santé, qui risquerait de fausser les estimations, d’autant plus lorsqu’elles doivent servir à une comparaison interculturelle. Il est en effet utile de disposer d’une meilleure estimation dans une population qui peut présenter un taux de mortalité élevé, mais qui, pour des raisons culturelles, n’a pas tendance à se déclarer comme étant en mauvaise santé (5). Les estimations d’AVAI ne reflètent pas les autres aspects d’une maladie, comme ses effets psychologiques sur les proches (12).

Dans les estimations d’AVAI, la pondération en fonction de l’âge est sans doute le choix sociétal le plus controversé. Lorsqu’on établit des priorités en incluant des coefficients de pondération en fonction de l’âge, une année de vie en bonne santé en début ou en fin de vie a moins de poids qu’une année en bonne santé aux autres âges. Cela signifie qu’on donne une plus grande valeur aux années de vie des jeunes adultes qu’à celles des personnes plus âgées ou plus jeunes (4). L’intégration de ce choix sociétal était fondée sur un certain nombre d’études indiquant une préférence générale pour les jeunes adultes (4). Dans beaucoup de sociétés, cela reflète un intérêt pour la productivité et pour la rentabilisation de l’investissement dans l’éducation des enfants. En fait, l’une des principales préoccupations des AVAI est qu’elles servent surtout à mesurer la capacité de production économique des personnes touchées. Les chercheurs et utilisateurs de données n’approuvent pas tous ce principe ou l’ampleur de l’écart entre les âges et certains choisissent d’omettre cette pondération (8). Comme la pondération en fonction de l’âge prête à controverse, elle n’est utilisée ni dans l’étude sur la CMM de 2010, ni dans l’étude ONBOIDS.

L’emploi de l’actualisation par choix sociétal—une année vécue en bonne santé maintenant vaut-elle plus qu’une année vécue en bonne santé dans le futur?—est également critiqué en raison de la subjectivité de ce critère. La valeur attribuée aux années de vie en bonne santé actuelles ou futures peut varier d’un pays ou d’une culture à l’autre. Dans le rapport sur la CMM de 2010, l’estimation des années futures était généralement actualisée à un taux de 3 %, ce qui veut dire qu’une année en bonne santé l’an prochain vaudrait 97 % de l’année en bonne santé en cours (9). En comparant les estimations de charge de morbidité, il est important de connaître les choix sociétaux utilisés dans les rapports, car les résultats varieront en fonction des coefficients de pondération utilisés.

1.4.3. Questions d’éthique liées aux AVAQ et aux AVAI

Gold et al. (5) relèvent trois grandes questions d’éthique posées par les estimations d’AVAQ et d’AVAI :

Tout comme avec les AVAQ et les AVAI, l’emploi des AVAS pour estimer la charge de morbidité pose quelques problèmes importants.

• Les AVAQ et les AVAI établissent une discrimination envers les membres de la société qui sont déjà désavantagés sur le plan social ou sanitaire. En effet, dans les calculs effectifs, les personnes plus âgées ou souffrant déjà d’un handicap sont traitées comme un mauvais investissement, car le faible potentiel d’amélioration de leur santé se traduit par une estimation plus faible des AVAS.

• Ces indicateurs établissent une discrimination envers les personnes dont les options de traitement ou le potentiel de rétablissement sont limités—une question quelque peu différente de la première qui figure ci-dessus.

• Ils ne rendent pas compte des différences qualitatives dans les résultats. Puisque les valeurs attribuées aux états de santé et aux maladies sont agrégées et comprennent l’ensemble des personnes et le spectre allant de la vie à la mort, il n’y a donc pas de véritable distinction entre les interventions qui sauvent la vie et celles qui améliorent la santé. Ce problème d’agrégation soulève aussi la question de savoir s’il faut attribuer la même valeur aux avantages mineurs reve nant à de nombreuses personnes qu’aux avantages importants reven ant à quelques-unes (5).

De nouvelles techniques reflétant mieux les valeurs sociétales sont en cours de mise au point et pourraient aider à résoudre certains des problèmes d’éthique et à se faire une meilleure idée de la santé des populations. Gold et al, indiquent qu’il faut considérer les études de rentabilité que comme un facteur de prise de décision parmi d’autres. Les décideurs doivent tenir compte des problèmes de distribution au sein d’une population, des moyens d’établir les priorités par rapport aux maladies rares ou coûteuses et de l’équilibre entre amélioration de l’état de santé et préservation des vies, car ces aspects peuvent fausser les estimations d’AVAS. Malgré leurs inconvénients respectifs, les AVAI comme les AVAQ apportent des renseignements importants sur la charge de morbidité. L’étude sur la CMM de 2010 et l’étude ONBOIDS utilisaient seulement les AVAI, car elles ne portaient pas sur les traitements ou les interventions. La partie 2 examine quelques comptes rendus de ces études.

Partie 2 : Examen des documents liés à l’étude sur la CMM de 2010 et à l’étude ONBOIDS

2.1 L’étude sur la charge mondiale de morbidité de 2010

Les résultats de l’étude sur la CMM de 2010 ont fait l’objet de plusieurs articles publiés en décembre 2012 dans la revue The Lancet (Lancet, vol. 380, numéro 9859). Cette étude a estimé l’espérance de vie en bonne santé (EVS), les AVAI, les AVP, les AVI, les facteurs de risque, les coefficients de pondération de l’incapacité et la charge de morbidité par âge et par sexe pour l’année 2010, et les a recalculés pour 1990. Cette section donne un bref aperçu des méthodes et résultats présentés dans les articles du numéro du Lancet susmentionné, par ordre d’apparition. On trouvera une présentation succincte des méthodes et résultats de l’étude sur la CMM de 2010 dans le rapport intitulé GBD: Generating Evidence, Guiding Policy (13).

2.1.1 Mortalité – Lozano et al. (2012)

Lozano et al. (10) ont estimé le nombre annuel de décès dans le monde de 21 régions entre 1980 et 2010 pour 235 causes, par âge et par sexe, en donnant les intervalles d’incertitude. En recueillant leurs données, ils ont aussi constaté que les documents d’état civil (y compris les certificats médicaux de décès) ne rendent compte que d’environ 18,8 millions de décès sur les 51,7 millions estimés pour 2005 (10).

Ils ont compté 58,2 millions de décès dans le monde en 2010. Au niveau le plus agrégé, 24,9 % de ces décès étaient dus aux maladies transmissibles, aux troubles nutritionnels ou à la mortalité maternelle ou néonatale, ce qui représente une baisse par rapport aux 34,1 % de 1990. Les décès dus aux maladies non transmissibles ont augmenté proportionnellement dans le monde, mais en même temps, les habitants de la planète vivaient plus longtemps que 35 ans avant—l’âge de décès moyen a augmenté de 35 ans depuis 1970, quoique cette augmentation ne soit que de 10 ans environ dans certaines parties de l’Afrique subsaharienne (13)—et cela entraîne en général une croissa nce de la population âgée. C’est la vie des enfants de moins de 10 ans et des personnes de sexe féminin de tous âges qui s’est le plus allongée.

Les auteurs ont constaté que depuis 1990, les taux de m ortalité ajustés selon l’âge ont augmenté pour certaines pathologies clés (sida, maladie d’Alzheimer, diabète sucré et néphropathies chroniques), mais qu’ils ont chuté pour la plupart des maladies. Parmi les cinq premières causes de décès en 2010, ce sont les néphropathies chroniques qui ont le plus progressé (211 %), suivies par les troubles musculosquelettiques (88 %) et le diabète (75 %). Parmi les décès dus aux maladies transmissibles, aux troubles nutritionnels ou à la mortalité maternelle ou néonatale, ce sont ceux liés aux infections des voies respiratoires inférieures et aux maladies diarrhéiques qui ont le plus chuté (65 % et 83 %, respectivement).

2.1.2 Coefficients de pondération de l’incapacité – Salomon et al. (2012a)

Salomon et al. (14) ont réestimé les coefficients de pondération de l’incapacité pour l’étude sur la CMM de 2010 selon la perception de la population établie « par une étude empirique à grande échelle dans laquelle les jugements sur les pertes de santé associées à de nombreuses causes de maladie et de blessure ont été recueillis auprès du grand public dans diverses collectivités selon une nouvelle approche standardisée » (14).

L’avis de la population a été recueilli selon deux méthodes : on a interrogé 13 902 personnes (de 18 ans ou plus) à travers le Bangladesh, l’Indonésie, le Pérou et la Tanzanie dans le cadre d’une enquête auprès des ménages et par téléphone, et 16 328 personnes ont répondu à une enquête en ligne à libre accès. Chaque personne interrogée devait prendre le cas de deux individus hypothétiques présentant des états de santé différents tirés au hasard et indiquer lequel des deux elle croyait être en meilleure santé. Salomon et al. ont utilisé ces réponses pour mettre au point une échelle de pondération de l’incapacité allant de 0 (pas de perte de santé) à 1 (perte de santé équivalant à un décès).

Une autre critique importante à l’égard des AVAI concerne la question de la variabilité des coefficients de pondération de l’incapacité, qui sont jugés très dépendants de l’environnement social ou culturel, comme on l’a vu à la partie 1. Pourtant, les auteurs de cet article ont trouvé que les coefficients de pondération de l’incapacité étaient très similaires dans différents environnements culturels, ce qui conduit à supposer une certaine universalité de la perception des facteurs d’incapacité et des niveaux de gravité. Par exemple, les personnes interrogées ont invariablement classé comme très graves des états de santé tels que la schizophrénie aiguë et la sclérose en plaques, et comme moins graves les faibles pertes auditives et les fractures traitées sur le long terme.

Salomon et al. soulignent les limitations de cette nouvelle méthode d’estimation des coefficients de pondération de l’incapacité. Tout d’abord, même si l’enquête auprès des ménages s’est effectuée dans cinq pays de cultures et niveaux de développement économique différents, elle ne portait pas sur un échantillon aléatoire représentatif de la population mondiale. En conséquence, les résultats auraient pu être différents si on avait choisi d’autres pays. Il en va de même des enquêtes en ligne, où l’Amérique du Nord, l’Australie et l’Europe occidentale étaient surreprésentées par rapport au reste du monde. L’emploi d’un langage profane pourrai t aussi avoir entraîné l’omission de certains aspects des états de santé ou de leur gravité et avoir ainsi influé sur les coefficients de pondération de l’incapacité attribués à chaque cas (14).

2.1.3 Mesure de la vie en bonne santé – Salomon et al. (2012b)

Salomon et al. ont également mesuré l’espérance de vie en bonne santé (EVAS), également appelée « espérance de vie ajustée en fonction de l’état de santé » (15). L’EVAS est liée aux AVAS, mais n’est pas propre aux différentes maladies (5). L’EVAS correspond au nombre d’années qu’une personne d’un âge donné peut espérer vivre en bonne santé. Elle condense la mortalité et les problèmes non mortels en un seul indicateur de la santé moyenne de la population et elle sert à comparer la santé dans les différents pays ou à mesurer les changements au fil du temps.

Salomon et al. ont calculé l’EVAS par la méthode des tables de survie, en incorporant les estimations de santé moyenne pour chaque tranche d’âge. Les EVAS obtenues dans l’étude de la CMM de 2010 donnent à penser que l’incapacité fait perdre plus d’années de vie à la population mondiale que vingt ans plus tôt, et qu’elle en fait plus perdre aux femmes qu’aux hommes. Ces résultats montrent aussi qu’à l’échelle mondiale, l’EVAS à la naissance était de 59 ans pour les hommes et de 63,2 ans pour les femmes. L’EVAS a augmenté plus lentement que l’espérance de vie au cours des 20 dernières années et elle varie considérablement d’un pays à l’autre (15).

2.1.4. Années vécues avec une incapacité – Vos et al. (2012)

L’étude sur la CMM de 2010 a pris en compte 291 maladies ou blessures. Selon Vos et al., 289 d’entre elles ont causé une incapacité pour un total de 1 160 séquelles (16). Cette analyse a nécessité le recueil de données issues de plusieurs sources : travaux publiés, dé clarations de cas, registres des maladies des collectivités, sérosurveillance des cliniques de soins prénataux, relevés de sortie d’hôpital, relevés de soins ambulatoires, enquêtes (auprès des ménages, etc.) et études de cohorte.

Les AVI ont été calculées pour chaque séquelle en multipliant la prévalence de celle-ci par le coefficient de pondération de l’incapacité correspondant, sans actualisation ni pondération en fonction de l’âge. Les AVI de chaque maladie ou blessure étaient la somme des AVI des principales séquelles qui lui sont associées. Les séquelles pouvaient comprendre la maladie elle-même (p. ex., diabète) ou les problèmes posés par celle-ci (p. ex., pied diabétique, neuropathie, rétinopathie). On a recensé chaque séquelle et on a consigné son incidence, sa prévalence, sa rémission, sa durée et la surmortalité associée. On a estimé les AVI en calculant les coefficients de pondération de l’incapacité d’une part pour les malades qui présentaient une seule séquelle et d’autre part pour ceux qui en présentaient plusieurs. Afin de rendre compte de la gravité de la perte de santé, on a utilisé ces coefficients de pondération de l’incapacité pour 220 états de santé distincts. Les AVI ont été calculés par âge, par sexe, par pays et par année, puis ajustés en fonction des comorbidités au moyen de méthodes de simulation. Et pour la première fois, on a estimé l’incertitude à chaque étape de l’analyse.

Les résultats ont montré que les principaux facteurs d’AVI dans le monde étaient les troubles mentaux et comportementaux, les troubles musculosquelettiques et le diabète. Les causes particulières des AVI de 2010 étaient similaires à celles de 1990 : lombalgie, trouble dépressif majeur, anémie ferriprive, cervicalgie, broncho-pneumopathie chronique obstructive, trouble anxieux, migraine, diabète et chutes. De plus, la croissance et le vieillissement de la population ont fait augmenter le nombre d’AVI. Le fort taux d’AVI causées par des troubles mentaux ou comportementaux a montré que les systèmes de santé doivent faire face à la croissance du nombre de personnes atteintes de maladies entraînant une incapacité plutôt qu’un décès. Cela a aussi démontré l’importance d’inclure les AVI dans le rapport sommaire sur la santé de la population destiné aux décideurs.

Les auteurs soulignent qu’un des points forts de cette étude était qu’elle était axée sur la population dans son ensemble plutôt que sur des petits comités de professionnels de la santé pour déterminer les coefficients de pondération de l’incapacité de la manière expliquée plus haut. Cependant, un doute subsiste quant à la capacité de brèves descriptions en langage profane à bien expliquer toutes les implications des différents états de santé décrits.

Globalement, l’analyse des AVI effectuée dans l’étude sur la CMM de 2010 apporte d’importants éclairages sur les types de données à recueillir pour évaluer les problèmes de santé non mortels. Elle démontre aussi qu’il est possible de quantifier la perte de santé au sein des populations en utilisant des indicateurs comparables pour déterminer les principales causes de maladie non mortelle dans différentes régions, à différents âges et à différents moments (16).

2.1.5 Évaluation des facteurs de risque dans l’étude sur la CMM – Lim et al. (2012)

L’étude de Lim et al. est la première analyse à avoir évalué les modifications de la charge de morbidité imputables aux différents f acteurs de risque au fil du temps. Ils ont estimé les AVAI imputables à l’effet indépendant de 67 facteurs pour 21 régions en 1990 et 2010 (17).

Leur approche consistait à calculer la proportion de la charge de morbidité qui était causée par différents facteurs de risque en ga rdant les autres facteurs indépendants inchangés. Ils ont commencé par une hiérarchisation des risques en trois niveaux. Les risques de niveau 1 correspondent à des groupes de facteurs de risque liés par un mécanisme, par un élément biologique ou encore par une intervention potentielle. Les risques de niveau 2 correspondent à la majeure partie des facteurs de risque eux-mêmes. Le troisième niveau a été ajouté pour donner plus de détails sur certains facteurs de risque, comme l’exposition professionnelle aux can cérigènes. On a calculé la charge de morbidité imputable à 67 facteurs de risque. Les facteurs de risque physiologiques ou liés à la pollution atmosphérique ont été exclus en raison des difficultés d’analyse.

L’analyse a montré que les trois principaux facteurs de risque pour la CMM étaient l’hypertension artérielle, le tabagisme actif ou passif (fumée secondaire) et la pollution de l’air des habitations par l’usage de combustibles solides. On a observé qu’entre 1990 et 2010 les facteurs de risque associés aux maladies transmissibles ont largement pris le pas sur ceux associés aux maladies non transmissibles. Cependant, l’analyse des risques à l’échelle mondiale masque d’importantes variations régionales. Par exemple, même si les facteurs de risque liés aux maladies non transmissibles sont désormais le principal déterminant de la charge de morbidité en Afrique subsaharienne, ceux liés aux maladies transmissibles y entraînaient toujours une charge sanitaire disproportionnée.

Alors que plusieurs des maladies et facteurs de risque sont présents au même niveau dans le monde entier, on constate des divergences. Par exemple, alors que les maladies diarrhéiques et le sida étaient des causes majeures d’AVAI, leurs facteurs de risque étaient sous-représentés. Les rapports sexuels non protégés n’ont pas été inclus dans les facteurs de risque de cette étude car il était presque impossible d’obtenir de manière constante des sources de données et des estimations fiables et cohérentes. Les auteurs ont noté que cette divergence pourrait avoir d’importantes répercussions sur l’évaluation d’estimations et des calculs futurs des facteurs de risque (17).

2.1.6 Mesure des AVAI – Murray et al. (2012)

Murray et al. (3) ont calculé les AVAI pour 291 causes, pour 20 groupes d’âge, pour les deux sexes et pour 187 pays. Les AVP ont été calculées par âge, sexe, pays et période pour chaque cause de mortalité. Les AVI ont été calculées à partir de la prévalence de 1 160 s équelles invalidantes, par âge et par cause, puis pondérées par de nouveaux coefficients d’incapacité pour chaque état de santé. En réponse aux critiques soulevées par l’étude sur la CMM de 1990, les AVP et les AVI n’ont été ni pondérées en fonction de l’âge, ni actualisées. En outre, les AVP ont été calculées par rapport à une nouvelle espérance de vie standard pour chaque âge.

Le rapport de l’étude sur la CMM de 2010 estime que le nombre d’AVAI a diminué de 0,5 % par rapport aux estimations de 1990 à l’échelle mondiale. Si le nombre d’AVAI a relativement peu changé, on a observé un retournement important dans leur composition selon Murray et al. En effet, la part de la mortalité et de l’incapacité des enfants a chuté pour passer de 41 % des AVAI en 1990 à 25 % en 2010. En 1990, les AVAI étaient associées pour 47 % aux maladies transmissibles, aux troubles nutritionnels ou à la mortalité maternelle ou néonatale, pour 43 % aux maladies non transmissibles et pour 10 % aux blessures. En 2010, ces proportions étaient passées respectivement à 35 %, 54 % et 11 %. On assiste ainsi à deux retournements dans la charge mondiale de morbidité : le poids des maladies non transmissibles a pris le pas sur celui des maladies transmissibles et les années vécues avec une incapacité ont pris le pas sur les décès prématurés. Les auteurs soulignent également que l’hétérogénéité entre les régions fait ressortir l’importance de comprendre aussi la charge de morbidité à l’échelle locale (3).

Malgré les limitations majeures imposées par la disponibilité et la qualité des données, l’étude sur la CMM de 2010 a une portée beaucoup plus étendue que les précédentes et apporte des révisions importantes par rapport à celle de 1990. Elle incluait plus de facteurs de risque, plus de groupes d’âge et une plus longue liste de maladies et de blessures. Elle a résolu plusieurs grandes limites des études précédentes, notamment en éliminant l’actualisation et la pondération en fonction de l’âge, et en tenant compte des comorbidités dans l’estimation des AVI (3).

2.2 L’étude ONBOIDS (Ontario Burden of Infectious Disease Study)

Le rapport de l’étude sur le fardeau des maladies infectieuses en Ontario (Ontario Burden of Infectious Disease Study, ou ONBOIDS) a été publié en anglais en 2010 (18). Pour mesurer la charge des maladies infectieuses, les auteurs de l’étude ont utilisé des AVAS comme indicateur à la fois de la mortalité prématurée et de la perte de fonctionnement associée aux maladies ou aux blessures, en estimant que ni les AVAI, ni les AVAQ ne représentaient ces quantités. Comme ils n’utilisaient pas de coefficients de pondération de l’incapacité, d’actualisation ou de pondération en fonction de l’âge, contrairement aux précédentes études sur la CMM, les auteurs de l’étude ONBOIDS n’ont pas adopté le terme « AVAI ». Il est à noter que cette étude a été réalisée avant la publication des résultats de l’étude sur la CMM de 2010, qui n’a pas non plus utilisé de pondération en fonction de l’âge, comme indiqué plus haut. Dans l’étude ONBOIDS :

AVAS = Années de vie perdues (AVP) + Équivalents d’années de fonctionnement réduit (EAFR)

EAFRc,e,a,s = Ic,e,a,s × Dc,e × PDc,e

Où :

I c,e,a,s = nombre de cas incidents par cause (c), état de santé (e), âge (a) et sexe (s)
Dc,e = durée moyenne de l’état de santé
PDc,e = coefficient de pondération en fonction de la gravité de l’état de santé

Les coefficients de pondération en fonction de la gravité sont tirés du Système de classification et de mesure de la santé fonctionnelle (ou CLAMES, pour Classification and Measurement System of Functional Health) adopté auparavant par Statistique Canada et utilisé alors par certains programmes de l’Agence de la santé publique du Canada (18).

La charge de morbidité a été estimée par pathogène (p. ex., Streptococcus pneumoniae) et par syndrome (p. ex., pneumonie). L’étude ONBOIDS a pris en compte 51 pathogènes et 16 syndromes qui étaient assez graves pour nécessiter des soins ou qui constituaient une maladie à déclaration obligatoire. Il est important de noter que les auteurs ont ajusté les données pour compenser le sous-diagnostic et la sous-déclaration.

Pour réduire la variation d’une année à l’autre, les auteurs ont estimé l’incidence annuelle de la maladie et la mortalité annuelle qui lui est imputable en calculant une moyenne sur trois ans à partir des dernières données disponibles. Les espérances de vie standard utilisées pour les femmes et pour les hommes étaient celles données par le Recensement du Canada pour l’Ontario.

L’étude a déterminé qu’il y avait chaque année en Ontario plus de 7 millions d’épisodes de maladie infectieuse et que près de 4 900 d’entre eux se soldaient par un décès. Les maladies infectieuses comptaient pour 82 881 AVAS, composées de 68 213 années de vie perdues du fait d’un décès prématuré et de 14 668 équivalents d’années de fonctionnement réduit. La charge globale des maladies infectieuses correspondait à environ 25 % de celle de l’ensemble des cancers. La charge des maladies infectieuses était à peu près la même pour les deux sexes, même s’il y avait des particularités propres à chaque sexe.

Les dix agents infectieux contribuant le plus à la charge de morbidité étaient les suivants : virus de l’hépatite C, pneumocoque (Streptococcus pneumoniae), papillomavirus humain, virus de l’hépatite B, colibacille (Escherichia coli), VIH ou sida, staphylocoque doré (Staphylococcus aureus), virus de la grippe, Clostridium difficile et rhinovirus. Les cinq syndromes les plus lourds étaient la pneumonie, la septicémie, les infections urinaires, la bronchite aiguë et l’endocardite. Les femmes présentaient plus d’AVAS pour le papillomavirus humain et les infections urinaires, tandis que le VIH, le virus de l’hépatite B et le virus de l’hépatite C prédominaient chez les hommes.

Les résultats de l’étude ont aussi montré que la charge de morbidité pouvait être imputée en grande partie à un petit nombre d’agents pathogènes et de syndromes pour lesquels il existe déjà des interventions ciblées (p. ex., vaccin antipneumonie ou antipapillomavirus) et non ciblées (p. ex., préservatifs, lavage des mains) très efficaces. Cela veut dire qu’à l’avenir, une plus grande utilisation des moyens d’intervention existants pourrait réduire de manière radicale la charge de certains pathogènes ou syndromes. Une partie importante de la charge de morbidité se manifeste plus souvent dans les établissements de soins (p. ex., E. coli, S. aureus), ce qui appelle des interventions propres à réduire au strict minimum la transmission des pathogènes en cause et souligne l’importance des programmes de prévention en milieu de soins.

Les points forts de cette étude sont notamment son approche fondée sur les pathogènes, la prise en compte d’un large éventail d’états de santé et l’emploi des données combinables sur l’utilisation des soins de santé (18). Comme pour la majorité des études sur la charge de morbidité, les principales faiblesses constatées par les auteurs sont le manque de qualité et de disponibilité des données, l’absence de prise en compte des effets économiques et psychosociaux et de la distribution des agents étiologiques, l’exclusion de certains agents infectieux, syndromes ou états de santé importants, ainsi que la charge des cas non diagnostiqués ou non déclarés (18).

Résumé

Cet article donne un bref aperçu des éléments du calcul de la charge de morbidité, des travaux récents de l’étude sur la charge mondiale de morbidité, ainsi que d’un rapport publié en Ontario en 2010.

Il est important de comprendre ce que mesurent les études sur la charge de morbidité, et en particulier les hypothèses posées lors de la mise au point des formules de calcul des AVAS. Pour évaluer les résultats produits, il faut prendre en compte à la fois les sources des données, les méthodes utilisées et les conventions adoptées pour établir les coefficients de pondération affectés aux différents états d’incapacité et de mauvaise santé. Comme l’ont souligné plusieurs auteurs, les mesures objectives de la charge de morbidité reflètent toujours les valeurs sociales des collectivités et des chercheurs qui les effectuent.

Il est aussi important de mentionner que les grands schémas mondiaux peuvent masquer la très grande variabilité régionale des risques sanitaires. Par exemple, alors qu’en Afrique subsaharienne l’insuffisance pondérale infantile et la pollution de l’air des habitations par l’usage de combustibles solides sont les grands facteurs de risque de la charge de morbidité, les estimations mondiales produites par la dernière étude sur la CMM indiquent une réduction de l’importance de ces deux facteurs de risque (17). Il pourrait être important de tenir compte de ce problème en mesurant la charge de morbidité au Canada. En effet, il est concevable que la différence dans les facteurs de risque entre milieu rural et milieu urbain, entre nord et sud ou entre provinces engendre des variations importantes qui risqueraient d’être sous-estimées dans une étude sur la charge de morbidité réalisée à l’échelle du Canada. Il sera donc important d’avoir une bonne idée de la distribution régionale des facteurs de risque et de leur variation d’un bout à l’autre du Canada pour estimer les AVAI, les AVAQ et les AVAS.


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