Plus que des chiffres : Analyse du concept de la « charge des maladies »

Publication Summary

Le présent résumé offre des renseignements sur les notions et les mesures communes de la charge des maladies qui sont utilisées dans le cadre de la santé des populations et de la santé publique. Il porte également sur les interprétations de la charge des maladies qui se profilent et propose des questions qu’on pourrait poser aux auteurs et aux orateurs qui se prononcent sur la charge des maladies.

Pourquoi faut-il porter attention au concept de la charge des maladies?

1. Le fardeau des maladies et la charge des maladies sont des expressions communément utilisées. Par souci de simplicité, nous avons utilisé « charge des maladies » tout au long du présent document.

Dans un monde touché par de nombreuses maladies et incapacités, comment est-ce que les gouvernements, les fournisseurs de soins de santé, les médias ou les membres du grand public arrivent à en déterminer l’ordre de préséance? S’il survenait une éclosion d’une maladie près de son lieu d’habitation, toutes les personnes touchées considéreraient naturellement que cette maladie serait d’une importance primordiale. Cependant, les praticiens et les décideurs en santé publique sont chargés de veiller à la santé de toutes les personnes. Par conséquent, ils doivent être en mesure d’évaluer l’importance relative des maladies et des incapacités par rapport à toute la population. Une connaissance des maladies qui posent le plus grand risque à la santé et au bien-être aide les praticiens et les décideurs en santé publique à déterminer comment utiliser les ressources limitées de manière à en tirer le plus grand avantage. Ils peuvent prévoir des interventions et offrir des services de sorte à améliorer les mesures de prévention, le contrôle des maladies, l’issue d’une maladie et à réduire les inégalités en mesure de santé—les écarts de risque injustes qui mènent à des résultats divers en matière de santé entre personnes et populations.

On qualifie fréquemment le coût humain et économique qui émane d’un pauvre état de santé de charge des maladies.1 De nombreux chercheurs utilisent l’expression « charge des maladies » qui laisse entendre qu’il existe une seule définition reçue. Ce n’est pas le cas. L’expression « charge des maladies » peut correspondre à diverses définitions qui, en revanche, dépendent du champ d’études du chercheur et du but de l’évaluation de la charge.

Le présent résumé offre des renseignements sur les notions et les mesures communes de la charge des maladies qui sont utilisées dans le cadre de la santé des populations et de la santé publique. Il porte également sur les interprétations de la charge des maladies qui se profilent et propose des questions qu’on pourrait poser aux auteurs et aux orateurs qui se prononcent sur la charge des maladies.

Par quels moyens peut-on connaître et mesurer la charge des maladies?

Les mesures types de la charge des maladies

Années de vie ajustées en fonction de la santé (AVAS) :

Les AVAS servent d’expression générique des mesures sommaires ordinairement utilisées pour déterminer la santé d’une population en estimant la charge des maladies. Ces mesures calculent les effets combinés de la mortalité et de la morbidité au sein des populations et permettent de comparer les maladies ou les interventions aussi bien que les populations. Deux approches courantes aux mesures des AVAS :

1. Années de vie ajustées en fonction de l’incapacité (AVAI) Les AVAI mesurent l’écart entre la santé actuelle de la population et une situation idéale, où chacun vivrait en parfaite santé jusqu’à l’âge d’espérance de vie standard. La méthode des AVAI se fonde sur l’acceptation de l’idée que le temps est l’indicateur qui convient le mieux pour mesurer la charge des maladies. Elle intègre dans une même mesure le temps vécu avec l’incapacité ou les résultats invalidants suite à une maladie et le temps perdu du fait de la mortalité prématurée. 2. Années de vie ajustées en fonction de la qualité (AVAQ) Les AVAQ sont une mesure à la fois qualitative et quantitative de la vie vécue. Cet indicateur sert surtout à analyser la rentabilité des interventions cliniques (ou de santé publique). Par exemple, les AVAQ permettent de comparer une intervention qui aiderait à quelqu’un de vivre plus longtemps, mais qui entraînerait des effets secondaires graves (tels qu’une incapacité permanente entraînée par la radiothérapie ou la chimiothérapie dans le traitement d’un cancer), à une intervention qui améliorerait la qualité de vie sans la prolonger (telle que le soulagement de la douleur dans le cadre des soins palliatifs). Source : Comprendre la mesure agrégée utilisée pour estimer la charge des maladies : les AVAS, les AVAI et les AVAQ. (2015)

Dans les domaines de la santé des populations et de la santé publique, il semble exister deux façons principales de concevoir et de mesurer la charge des maladies. L’approche la plus commune relève des domaines de l’épidémiologie et de la médecine. Elle consiste à déterminer les effets des maladies et des incapacités sur les personnes à partir de l’apparition de la maladie jusqu’à son issue, c’est-à-dire la maladie ou l’incapacité, le rétablissement ou la mort. L’approche comprend aussi l’évaluation des interventions médicales possibles qui pourraient modifier l’évolution de la maladie en plus des incapacités et maladies futures. On obtient des renseignements sur les façons que les maladies et les interventions affectent les personnes, et ces données sont recueillies en vue de créer une vue d’ensemble de la santé d’une population. Souvent, ces études soutiennent que la charge des maladies consiste des éléments suivants :

  • Morbidité – le nombre de personnes au sein d’une population qui sont malades ou atteintes d’une incapacité en tenant compte de la gravité de leur maladie ou incapacité ;
  • Mortalité – le nombre de personnes au sein d’une population qui meurent à la suite d’une maladie ou d’une incapacité en tenant compte du fait que leur décès soit considéré prématuré ou non (avant avoir atteint l’âge d’espérance de vie) ;
  • Tendances – les tendances de morbidité et de mortalité au sein des populations au fil du temps d’une maladie à une autre ;
  • Attribution de risque – certaines études mentionnent aussi les liens entre une maladie, une incapacité ou une mortalité et les facteurs de risque reconnus.

L’autre approche principale à la mesure de la charge des maladies est de considérer l’effet économique. Elle tient compte des coûts financiers attribués aux maladies au niveau de la personne, du foyer, du système de soins de santé et de la société. Les chercheurs et les décideurs qui mesurent la charge économique des maladies s’intéressent aux éléments suivants :

  • Coûts directs – le montant des dépenses liées à la prévention, au diagnostic et au traitement, telles que les vaccins et les programmes de dépistage, les soins hospitaliers et en clinique externe, les visites aux médecins et les médicaments ;
  • Coûts indirects – le montant qui correspond aux pertes de travail et de productivité, telles que la perte de revenu et de production économique en raison des absences du travail à la suite d’une maladie ou la perte de productivité au sein d’une industrie en raison du décès prématuré des travailleurs.

Il pourrait sembler que l’estimation de la charge des maladies soit un processus relativement simple, question de décompte ou de déterminer le montant des dépenses, mais ce n’est pas le cas. L’évaluation de la charge des maladies comprend une analyse à fond des questions de base sur la valeur qu’on accorde à une vie humaine aussi bien que la valeur de la qualité de vie comparativement au nombre d’années vécues. On pourrait se demander, par exemple, en quoi les mesures de la charge des maladies déterminent les questions suivantes :

  • Est-ce qu’un décès prématuré à la suite d’une maladie ajoute davantage à la charge que le fait de vivre pendant des années dans un mauvais état de santé ou avec une incapacité?
  • Qu’est-ce qui coûterait plus cher? Le fait de vivre avec une maladie, compte tenu des dépenses, ou le décès d’une personne à la suite d’une maladie?
  • Comment en arriver à un juste équilibre entre les traitements salutaires pour un petit nombre de personnes et les interventions qui offrent des avantages mitigés à un plus grand nombre de personnes?

Les valeurs sociales influent sur notre façon de comprendre les fardeaux qui constituent la charge et l’importance accordée à ces fardeaux sur le plan social. De plus, elles orientent notre approche à la mesure de la charge des maladies et, en dernière analyse, elles ont un effet sur la prise de décision relativement aux politiques et aux interventions en santé publique.

Existe-t-il d’autres façons de concevoir et de mesurer la charge des maladies?

Les spécialistes de la santé ont montré la voie de la mesure de la charge des maladies. Dès le XVIIe siècle, les médecins et les praticiens de la santé publique suivaient les causes des mortalités au sein des populations. Au cours du XXe siècle, les chercheurs du domaine de la santé des populations ont perfectionné leur compréhension de la charge des maladies et mis au point des mesures complexes servant à définir les effets des maladies, des incapacités et des mortalités prématurées. Depuis les années 1970, les spécialistes en économie ont approfondi notre compréhension de la charge des maladies en évaluant les effets économiques des maladies, des incapacités et des mortalités prématurées.

Plus récemment, les scientifiques en sciences humaines soulèvent d’importantes questions sur la conceptualisation de la charge des maladies. Plusieurs soutiennent qu’on ignore ou qu’on ne tienne pas compte de certaines formes importantes de la charge dans les mesures liées soit à la mortalité et à la morbidité ou au coût économique. Par exemple, puisque les approches courantes portent sur la personne malade, elles ont tendance à ignorer la charge d’une maladie sur les familles, sur les foyers et sur les réseaux sociaux. De façon semblable, les chercheurs ont bien fait valoir les contributions sociales et économiques appréciables des fournisseurs de soins non salariés. Pourtant, ce travail n’est généralement pas compris dans le calcul de la charge des maladies. De plus, on ne prend pas en ligne de compte d’autres aspects de la charge des maladies moins tangibles, tels que la douleur et la souffrance, dans la plupart des données statistiques sur la charge des maladies.

Certains chercheurs ont aussi affirmé que les mesures courantes de la charge des maladies pourraient cacher les écarts critiques entre les sous-populations. Par exemple, en 2014, la prévalence de la tuberculose au Canada était, en général, parmi les plus faibles au monde, mais la prévalence chez les populations des Premières Nations et des Inuits était beaucoup plus élevée en affichant un taux de 4,5 à 45 fois plus important. De tels écarts sont ancrés dans des inégalités sociales et économiques traditionnelles et persistantes dont on ne tient souvent pas compte dans les mesures habituelles de la charge des maladies. Dans le même ordre d’idées, certaines mesures sont axées sur la notion que les interventions devraient offrir un avantage optimal au plus grand nombre de personnes. Par contre, l’atteinte d’une meilleure équité en matière de santé pourrait comprendre des interventions qui sont plus avantageuses pour un petit nombre de personnes, c’est-à-dire celles qui sont le plus touchées par la charge des maladies. Les mesures courantes ont également tendance à porter sur les causes directes ou immédiates d’une maladie ou d’une mortalité, telles que le tabagisme ou l’exposition aux maladies transmissibles. En utilisant une telle approche, on peut parfois ignorer les éléments contributeurs systémiques ou sociétaux de la charge des maladies, tels qu’un faible revenu, un environnement contaminé, les préjugés et une infrastructure de soins santé insuffisante.

L’expression « charge des maladies » est, par définition, négative puisqu’elle englobe les difficultés et les pertes qu’on associe à la maladie, aux incapacités et à la mort. Il n’est donc pas surprenant que de nombreuses mesures de la charge des maladies se concentrent sur les facteurs qui entraînent la maladie ou qui l’aggravent. Cependant, quelques chercheurs soutiennent qu’une bonne compréhension de la charge des maladies comprend une appréciation des facteurs qui protègent et favorisent la santé, tels que la cohésion sociale, les bons rapports personnels entre pairs et les milieux scolaires ou professionnels propices à la santé. Bien que ce point de vue corresponde aux conclusions de la recherche menée pendant des décennies sur la promotion de la santé et sur la prise de décision, les approches courantes ne lui accordent pas, jusqu’ici, sa juste place dans la compréhension et la mesure de la charge des maladies.

Quels ont été les effets de l’augmentation du nombre de maladies non transmissibles sur la perception de la charge des maladies?

Les mesures de la charge des maladies ont leurs origines dans le domaine des maladies infectieuses en santé publique. Les toutes premières mesures ont été élaborées dans le but de surveiller et de dépister les causes de décès liées à la typhoïde, au choléra, au paludisme et à d’autres maladies infectieuses. Au cours des dernières décennies, le taux de maladies cardiaques, d’AVC et d’autres maladies non transmissibles a augmenté, particulièrement dans les pays développés et maintenant, on tient compte de ces conditions physiques en mesurant la charge des maladies. Il existe un grand écart entre les tendances liées à la morbidité et à la mortalité entre pays et à l’intérieur de ceux-ci. Cet écart se veut le reflet des inégalités de la charge des maladies chez les populations qui auraient été défavorisées par des événements historiques, des circonstances et des conditions sociales et économiques. Bien qu’il puisse s’avérer difficile de comprendre le rapport entre les faits relatés par la publication de documents sur la charge mondiale des maladies et le contexte canadien, les mesures canadiennes de la charge des maladies peuvent aussi cacher les écarts et les disparités en matière de santé chez les sous-populations du Canada. En même temps, il est important de porter attention aux résultats possibles d’un infléchissement de la morbidité et de la mortalité et aux changements de la perception et des mesures de la charge des maladies qui pourraient en résulter. Puisqu’une mort subite serait moins probable chez une personne atteinte d’une maladie non transmissible que chez une personne atteinte d’une maladie infectieuse, on pourrait considérer que les maladies non transmissibles représentent une charge plus importante si on tient compte des particuliers, des familles, des systèmes de soins de santé et des sociétés. Si le taux de prévalence des maladies non transmissibles continue à grimper, il semblerait peut-être plus sensé d’affecter les ressources aux maladies associées à cette charge. Cette conclusion et les mesures de la charge des maladies courantes ne tiennent pas compte du grand effet des programmes de vaccination et des traitements antibiotiques sur la charge des maladies infectieuses. Le taux des maladies non transmissibles est en hausse en partie parce que la lutte menée contre les maladies infectieuses a été tellement réussie. Si les mesures de la charge des maladies ne tiennent pas compte de la réussite des mesures de prévention et d’intervention précoce, on risque de renverser les efforts de prévention critiques relatifs à la charge des maladies.

Quelles sont les questions qu’on pourrait se poser sur la charge des maladies?

La charge des maladies se veut une notion complexe que les chercheurs décrivent au moyen de calculs mathématiques complexes. Les mesures de la charge des maladies sont souvent présentées comme étant « objectives », mais les décisions sur ce qui est mesuré et comment sont affectées par les valeurs sociales. Comment devrait-on procéder dans notre approche à la recherche sur la charge des maladies ou par quels moyens devrait-on collaborer avec les experts du domaine? En lisant la documentation sur la charge des maladies ou en discutant de celle-ci, on vous invite à considérer certaines des questions suivantes :

  1. Quelle est la définition de la charge des maladies utilisée?
  2. Quels sont les aspects de la charge des maladies qui font l’objet des mesures?
  3. Quelles sont les personnes visées par la mesure de la charge des maladies et celles qui ne le sont pas?
  4. Par quels moyens et dans quelle situation devrait-on intervenir si on veut obtenir le plus grand effet sur la charge des maladies en incluant les volets de la prévention, du contrôle et du traitement?
  5. Quelles sont les personnes qui profiteraient probablement le moins et le plus des interventions spéciales servant à réduire la charge des maladies?
  6. Comment peut-on éradiquer les inégalités de la charge des maladies?

Vous pouvez en apprendre davantage sur les mesures et les concepts liés à la charge des maladies en consultant les publications du CCNMI suivantes :

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NOTES

i Barry, J. A. (2014). Caregiving men of Alzheimer’s disease sufferers in Nuevo Leo’n (Mexico) experiences and meanings, Vulnerable Groups and Inclusion (5), 1–23; Rivera-Navarro, J., Morales-González, J. M., and Benito-León, J. (2003). Informal caregiving in multiple sclerosis patients: data from the Madrid Demyelinating Disease Group study. Disability and Rehabilitation, 25(18), 1057–1064; Zan, H., and Scharff, R. L. (2014). The Heterogeneity in Financial and Time Burden of Caregiving to Children with Chronic Conditions. Maternal and Child Health Journal, 615–625. Morales-González & Benito-León, (2003); Zan & Scharff, (2014).

ii Englisch, S., Esser, A., Enning, F., Hohmann, S., Schanz, H., Zink, M. (2010). Augmentation with pregabalin in schizophrenia. Journal of Clinical Psychopharmacology, 30(4), 437; Kobeissi, L., Araya, R., Kak, F., Ghantous, Z., Khawaja, M., Khoury, B., Zurayk, H. (2011). The relaxation exercise and social support trial-rest: Study protocol for a randomized community based trial. BMC Psychiatry, 11(1), 142; Zink, A., and Huscher, D. (2004). Longterm studies in rheumatoid arthritis–the German experience. The Journal of Rheumatology. Supplement, 69, 22–26; American Diabetes Association. (2013). Economic costs of diabetes in the U.S. in 2012. Diabetes Care, 36(4), 1033–46.

iii Mowat, D. L., and Butler-Jones, D. (2007). Public health in Canada: A difficult history. Healthcare Papers, 7(3), 31–36.

iv La tuberculose au Canada 2014. http://canadiensensante. gc.ca/publications/diseases-conditions-maladies-affections/ tuberculosis-2014-tuberculose/index-fra.php?_ga=1.16013 2797.1005086812.1466699862.

v Isfeld-Kiely, H., Balakumar, S. 2015. Formulation de la charge des maladies : Vers un nouveau cadre en vue de la mesure de la charge des maladies au Canada. Winnipeg : CCNMI. Gold, M. R., Stevenson, D., and Fryback, D. G. (2002). HALYS and QALYS and DALYS, Oh My: Similarities and differences in summary measures of population Health. Annual Review of Public Health, 23, 115–134.

vi Link, B. G., and Phelan, J. (1995). Social conditions as fundamental causes of disease. Journal of Health and Social Behavior, Spec No, 80–94.

vii Thacker, S.B., Stroup, D, F., Carande-Kulis, V., Marks, J.S., Roy, K., and Gerberding, J.L. (2006). Measuring the public’s health, Public Health Reports, 12(1), 14–22.

Production of this document has been made possible through a financial contribution from the Public Health Agency of Canada through funding for the National Collaborating Centres for Public Health (NCCPH).

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