« TB Talk » – Saison 2, Épisode 4 : Tirer des leçons de l’expérience

Introduction

Dans notre dernier épisode, des membres du personnel du programme de lutte contre la tuberculose réfléchissent aux leçons à tirer de l’éclosion, sur ce qui a bien fonctionné et sur ce qu’il reste à faire pour éradiquer la maladie.

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En collaboration avec

Shivoan : Bonjour, je m’appelle Shivoan Balakumar. Vous écoutez « TB Talk », un balado créé par le Centre de collaboration nationale des maladies infectieuses.

Voici le quatrième et dernier épisode de la saison intitulée Une histoire d’éclosion communautaire, réalisée en partenariat avec le CCNSA, le Centre de collaboration nationale de la santé autochtone, et la NITHA, la Northern Inter-Tribal Health Authority.

Dans cette série, nous avons examiné de près une éclosion de tuberculose survenue en 2019 dans une petite communauté des Premières Nations située dans le nord de la Saskatchewan. Jusqu’à présent, nous nous sommes surtout intéressés aux histoires émouvantes de personnes ayant survécu à la tuberculose. Dans cet épisode, toutefois, nous donnons une tribune aux membres du personnel du programme de lutte contre la tuberculose. Nous cherchons à savoir ce qu’ils ont appris et ce qui, à leur avis, permettrait d’éradiquer la tuberculose dans les communautés des Premières Nations.

Nnamdi : Pour gérer l’éclosion dans cette communauté, nous nous sommes essentiellement appuyés sur la stratégie de lutte contre la forte incidence de la tuberculose.

NARRATEUR (Rick) : Le Dr Nnamdi Ndubuka est médecin-conseil en santé publique auprès de la NITHA.

Nnamdi : La stratégie de lutte contre la forte incidence de la tuberculose s’appuie essentiellement sur la détection précoce des cas, le dépistage actif, la gestion active des infections tuberculeuses latentes et la surveillance améliorée et, finalement, sur la promotion de certains déterminants de la santé.

Ces éléments étaient les principaux piliers de l’intervention menée pour réagir à cette éclosion. On savait que ces stratégies étaient utiles parce qu’elles étaient déjà employées dans d’autres communautés. On a cependant cherché à adapter cette approche à la communauté en fonction des ressources disponibles et de la capacité du personnel local à s’approprier les stratégies d’un point de vue de santé publique.

Rick : Un élément clé de l’intervention de la NITHA a été de favoriser la collaboration avec la communauté et d’établir des partenariats.

Nnamdi : L’intervention s’est aussi articulée autour de la mobilisation de la communauté. On a utilisé l’occasion pour s’assurer que les leaders locaux étaient bien informés sur la recherche de contacts en cours et la gestion de l’éclosion. Le chef du conseil et la directrice de la santé étaient tous les deux d’accord pour appuyer le plan de gestion de l’éclosion élaboré conjointement avec les infirmières de la communauté. Et ils ont réussi à promouvoir l’éducation à la tuberculose chaque fois qu’ils en avaient l’occasion dans le cadre des rassemblements communautaires ou de toute autre réunion à laquelle ils participaient. Ils ont aussi eu l’occasion d’informer les membres de la communauté sur la tuberculose et les mesures à mettre en place pour la prévenir.

Il y a aussi des communautés environnantes qui ont collaboré dans une perspective de santé publique, ce qui était vraiment une bonne chose pour nous pour ce qui est de sensibiliser la population à la tuberculose et d’aider à faire en sorte que les problèmes liés à la stigmatisation soient convenablement abordés dans ces communautés voisines. Ce qui est utile aussi, c’est de mettre sur pied aussi rapidement que possible des équipes de gestion de l’éclosion. On a contribué à mobiliser des capacités supplémentaires pour cette communauté en collaboration avec le conseil tribal. En gros, les leçons que nous avons apprises en déployant rapidement une équipe multidisciplinaire pour assurer la gestion de l’éclosion étaient cruciales.

Rick : Une fois le soutien de la communauté assuré et la stratégie et l’équipe d’intervention rapide en place, on a pu commencer la recherche de contacts. Personne n’était mieux placé que Shirley Nelson, une infirmière de la NITHA spécialisée en TB, pour gérer les premières étapes.

Shirley : Mon rôle était de faire la recherche de contacts. Et donc je viens ici, je regarde qui sont les contacts et quel est le niveau de priorité de chacun : faible, moyen ou élevé. Je fais des tests cutanés à la tuberculine à ceux et celles qui y sont admissibles. Je pose des questions sur les symptômes. Je m’intéresse aux facteurs de risque en général et aux facteurs de risque en matière de santé. Je fais ça avec chacun des contacts, OK ? On doit aussi prélever des échantillons de crachats à tous ceux et celles qui ont des symptômes. Je dois également vérifier les dossiers de chacun des contacts pour m’assurer que je ne fais pas de tests à la tuberculine à ceux et celles à qui je ne dois pas en faire. Et je regarde s’ils ont un historique de tuberculose. Je vérifie toutes ces informations.

Ce sont des vies qui sont en jeu. On peut mourir de la tuberculose. Grâce à la recherche de contacts, on a découvert des cas avant que les patients ne deviennent vraiment contagieux. Et on a trouvé quelques cas de tuberculose extrapulmonaire, soit ailleurs que dans les poumons, où c’est le plus contagieux.

Rick : On ne peut pas demander à une personne seule de diagnostiquer et de traiter la tuberculose avant qu’elle ne se propage : il faut toute une équipe de soutien, et notamment des agents de santé communautaires spécialisés en TB. Dans le cas de cette éclosion, l’agente de santé responsable des opérations était Kelly, une résidante locale. Elle a joué un rôle crucial dans la recherche de contacts et a eu plus que sa part de responsabilités — et de patients.

Kelly : Ils sont trop nombreux pour tous les nommer [rires]. Plus sérieusement, il y a eu des moments pendant cette éclosion où je n’avais pas d’infirmière… J’avais seulement Shirley, alors quand Shirley n’était pas là, je faisais la thérapie sous observation directe et j’essayais de rester organisée.

Shirley : Quand on reçoit l’appel initial, elle part peser et mesurer tous les enfants de 0 à 5 ans. On leur donne automatiquement les médicaments, sans procéder à d’autres évaluations ni rien. Quand je ne suis pas là, elle prélève des échantillons de crachats chez tous ceux qui présentent des symptômes. On prélève BEAUCOUP d’échantillons de crachats !

Kelly : C’est parfois difficile de prélever des échantillons de crachats. Les gens n’en font pas toujours. Il faut donc que je continue de faire des visites à domicile jusqu’à ce que je puisse les obtenir.

Shirley : L’unité de lutte contre la tuberculose et les spécialistes des maladies infectieuses sont là pour nous soutenir. Il y a beaucoup à faire en peu de temps. Et quand elle dit qu’il y a trop de choses pour établir une liste, c’est qu’il y a vraiment beaucoup de travail et qu’elle doit faire tout cela en plus de se déplacer sans arrêt d’une maison à l’autre. En général, elle n’y va pas seulement une fois pour aviser la personne qu’elle a un rendez-vous pour la tuberculose : elle y va trois ou quatre fois. Elle va carrément les chercher. Elle ne se contente pas de leur envoyer un rappel. Elle leur fait plusieurs rappels. Et elle se rend plusieurs fois chez eux pour les persuader de voir le spécialiste.

Kelly : Et puis il y a aussi les cliniques de tuberculose. L’éclosion a commencé en décembre et on a eu notre première clinique en janvier. Je crois que 22 personnes sont venues. Et c’était seulement de 10 h à 15 h. Donc on a vu 22 personnes en 5 heures.

Shirley : Kelly a réussi à surmonter le problème de la faible participation aux cliniques de tuberculose en préparant de délicieux repas pour attirer les gens.

Kelly : Généralement, les cliniques de tuberculose ont lieu tous les trois mois. Mais depuis décembre, on en a tous les mois. Je dois planifier ça, envoyer des invitations à nos contacts. Et quand on n’a pas de technicien en radiologie, il faut envoyer les patients à l’extérieur pour passer des radios. Je dois m’assurer qu’ils y vont. Et une fois qu’ils l’ont fait, je dois veiller à ce qu’ils viennent à la clinique pour voir le médecin. Ce n’est pas évident d’envoyer les gens passer une radio. Il faut organiser le transport aller-retour sans exposer d’autres personnes à la tuberculose. Si je dois envoyer une personne à risque élevé passer des radios, je préfère y aller moi-même plutôt que de lui faire prendre un taxi. Ou embaucher un autre chauffeur qui est prêt à y aller.

Shirley : Kelly joue un autre rôle clé dans la recherche de contacts : comme elle connaît bien les gens de la communauté, elle sait où on doit aller. C’est elle qui nous emmène chez les gens et qui nous présente les personnes qu’on doit interviewer. Elle a une bonne relation avec les membres de la communauté et ils sont donc plus enclins à lui ouvrir leur porte.

Kelly : Les cas actifs se montrent souvent frustrés et vraiment impatients, mais il faut les laisser se défouler. Je ne veux pas dire que je les laisse m’insulter ni rien, simplement que j’essaie de leur faciliter la vie.

Shirley : Je pense qu’elle leur permet de vider leur sac. Elle développe une très bonne relation avec ces personnes. Elles lui font vraiment confiance. C’est une des forces de Kelly. Elle défend avec vigueur les patients et les patients se sentent vraiment à l’aise avec elle. Ils savent qu’ils peuvent la contacter n’importe quand. Elle leur a toujours offert son soutien : elle les emmène à la clinique au besoin et elle est là pour eux. Elle les traite comme s’ils faisaient partie de sa famille. Vraiment.

Nnamdi : Le succès qu’on a eu est dû en partie au travail des agents de santé spécialisés en TB. En ce moment, ces agents de santé ont un champ de pratique élargi. En d’autres mots, ils ne se contentent pas de livrer les médicaments : ils sont aussi formés pour éduquer les patients, ceux qui reçoivent un traitement actif ou ceux qui prennent une médication prophylactique.

Shirley : Pour que le programme soit vraiment efficace, il faut que les agents de santé soient passionnés par leur travail. Il faut aussi être très organisé et comprendre toute la logique derrière l’administration des médicaments. Il faut aussi être accessible pour les patients : ils doivent se sentir à l’aise de venir nous voir en cas de problème. L’idéal, c’est de bien connaître la communauté, les habitants, les relations entre eux et de pouvoir prévoir le soutien dont le patient pourrait avoir besoin.

Talia : C’est bien de les avoir. Ils sont vraiment… Ils s’occupent bien de nous. Et quand on était à l’hôpital, ils venaient, ils s’arrêtaient nous rendre visite et nous donner des cartes cadeaux pour nous aider. Oui, ils étaient vraiment gentils. Je vais toujours parler à Kelly quand je viens ici. Je peux vraiment me confier à elle. Elle m’aide beaucoup.

Nnamdi : Je pense qu’ils ont de quoi être fiers. Ces agents de santé sont vraiment un pilier du programme de lutte contre la tuberculose.

Rick : L’expertise et les ressources humaines locales sont au cœur de la stratégie d’intervention de la NITHA. L’objectif ultime n’est pas seulement de contenir la tuberculose, mais aussi d’éliminer les facteurs qui contribuent à sa propagation.

Nnamdi : Il faut s’attaquer à certains des facteurs déterminants, et notamment au problème du logement. Le surpeuplement contribue vraiment à la propagation de la tuberculose, et c’est pourquoi tous les efforts visant à améliorer la situation du logement dans la réserve permettront d’agir concrètement pour prévenir la tuberculose, mais aussi pour l’éliminer complètement.

Shirley : Plus de logements, c’est sûr. On en parlait justement aujourd’hui au sujet d’une patiente. Elle a trois enfants et elle va bientôt en avoir un quatrième. Elle n’a pas de maison. Elle se déplace de maison en maison, vous voyez ? Il faut assurément s’attaquer au problème du logement.

L’un des déterminants sociaux est l’insécurité alimentaire. Il n’y a pas de supermarché dans le village. Les habitants doivent faire 2 h 40 de route pour aller faire les courses et revenir. Ceux qui vivent de l’aide sociale doivent donner une partie du petit montant qu’ils reçoivent pour faire leurs courses à la personne qui les amène en ville.

Kelly : Une personne seule reçoit seulement 305 dollars par mois. Donc, si j’étais bénéficiaire de l’aide sociale et que j’avais trois enfants, je recevrais 305 dollars, puis 25 dollars par enfant par mois.

Shirley : Il faut s’alimenter correctement pour être en santé. Une personne qui n’a rien à manger ne reçoit pas les nutriments dont elle a besoin.

Kelly : On donne toujours des collations à nos patients qui prennent des médicaments contre la tuberculose. On leur dit qu’ils doivent manger des aliments riches en matières grasses, qu’ils doivent essayer de manger quelque chose avant de prendre leur médicament pour que leur corps l’absorbe mieux et qu’ils ne soient pas malades.

Une diététicienne a dit que les patients qui sont dans le programme pourraient recevoir quelques dollars de plus sur leur chèque. Mais je ne sais pas trop encore comment il faut procéder.

Shirley : On essaie de trouver des solutions.

Kelly : Oui. Il y a aussi le fait qu’on essaie d’obtenir de l’argent supplémentaire pour le patient, mais qu’on ne peut pas… Je n’aime pas partager les renseignements médicaux des gens sans leur permission, mais c’est plus difficile de demander de l’aide si on ne le fait pas.

Des fonds d’urgence permettraient d’aider les patients qui vivent des situations difficiles. Il faudrait des fonds supplémentaires pour la tuberculose, au cas où quelque chose… une autre éclosion comme celle-ci se produirait. On a eu une mère qui ne pouvait pas payer sa facture d’électricité. Elle avait perdu son emploi parce qu’elle avait passé trop de temps à l’hôpital. On a une autre patiente qui a cessé ses études et qui s’est débrouillé eavec des cartes cadeaux pendant trois mois. Ces personnes se retrouvent coincées dans ces situations à cause de la tuberculose et on ne sait pas où trouver de l’aide. Ce genre de chose aiderait beaucoup.

Rick : La NITHA et ses partenaires mettent tout en œuvre pour plaider en faveur de l’amélioration des conditions de vie et de la sécurité alimentaire et de la réduction de la pauvreté. Ils ont réussi à mettre de l’avant plusieurs initiatives prometteuses visant à rapprocher les soins pour les tuberculeux et à réduire le fardeau de la maladie dans les communautés nordiques.

Nnamdi : Parmi les approches novatrices qu’on a employées, et qui, je crois, pourraient permettre d’éradiquer la tuberculose, il y a l’utilisation de la technologie mobile. Nous avons utilisé un appareil portatif permettant de faire des radiographies thoraciques lors des cliniques mobiles. Comme ça, les patients se déplaçaient une seule fois : ils faisaient une radiographie thoracique et voyaient le médecin le même jour. C’était déjà mieux que de faire la route deux fois avant de voir le médecin.

Je pense que ça a contribué à ce que les soins soient davantage axés sur le patient. On lui évite de perdre son temps et on lui épargne le stress associé à un déplacement de plusieurs centaines de kilomètres simplement pour faire une première radio.

Rick : Un autre élément important pour la NITHA : l’adoption d’une approche proactive de l’ITL, ou « infection tuberculeuse latente », que certains appellent la « tuberculose dormante ».

Nnamdi : Si l’on se fie à notre expérience, le bassin de personnes porteuses d’une ITL est une source importante de nouvelles infections au sein des communautés. Les efforts déployés pour réduire ce bassin de personnes pourraient ainsi permettre d’éradiquer la tuberculose. Je pense que l’administration d’une prophylaxie ciblée aux personnes à risque, à savoir les personnes qui souffrent de diabète, de maladies rénales chroniques ou de maladies qui affaiblissent le système immunitaire, comme le VIH ou le SIDA, serait une stratégie clé dans la lutte contre la tuberculose dans les communautés nordiques.

Rick : La NITHA a identifié les éléments clés d’une intervention efficace : une stratégie à plusieurs volets, des partenariats communautaires solides, un personnel local qualifié, l’utilisation des technologies mobiles et le recours à une approche proactive. Si on les combine à des mesures visant à améliorer les conditions de vie et à renforcer la résilience communautaire, ils pourraient constituer une formule efficace pour éradiquer la tuberculose chez les Premières Nations du Nord.

Shivoan : C’était le quatrième et dernier épisode de « TB Talk » — Une histoire d’éclosion communautaire — narré par Rick Harp. Nous aimerions remercier nos partenaires : le CCNSA, le centre de collaboration nationale de la santé autochtone, et la NITHA, la Northern Inter-Tribal Health Authority. Je m’appelle Shivoan Balakumar. Merci d’avoir écouté « TB Talk », un balado du CCNMI.


La musique de ce balado a été fournie par Blue Dot Sessions et apparaît sous une licence Creative Commons. Pour en savoir plus, visitez www.sessions.blue. La production de ce balado a été rendue possible grâce à une contribution financière de l’Agence de la santé publique du Canada. Prière de noter que les opinions exprimées ici ne reflètent pas nécessairement celles de l’Agence. L’organisation hôte du CCNMI est l’Université du Manitoba. Visitez ccnmi.ca pour en savoir davantage.