IQ1 : le virus de Zika et les voyageuses enceintes
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TRANSCRIPTION
Rick Harp : Il me fait plaisir de vous accueillir pour cet épisode de « Infections en questions », une toute nouvelle baladodiffusion conçue et réalisée par le Centre de collaboration nationale des maladies infectieuses. Au CCNMI, nous aidons les professionnels du secteur de la santé publique à trouver, comprendre et utiliser les données produites par la recherche sur les maladies infectieuses et cette nouvelle série de balados est un moyen pour y arriver.
Bienvenue, je m’appelle Rick Harp.
Shivoan Balakumar : Et moi, Shivoan Balakumar.
Pour ce premier épisode, nous allons nous intéresser à une maladie infectieuse émergente, celle qui attire le plus l’attention des médias en ce moment; l’infection au virus Zika. Ce sujet a soulevé de nombreuses questions parmi les professionnels de la santé partout au Canada.
Harp : Voilà le but de cette programmation. Nous espérons vous aider en connectant ceux qui ont des questions à ceux qui peuvent y répondre. Cela dit, nous aimerions vous présenter notre premier invité, le docteur Philippe Lagacé-Wiens. Il est assistant-professeur département de la Microbiologie médicale et d’infectiologie à l’Université du Manitoba, et m.decin consultant à la Clinique de santé voyage et de médecine tropicale de L’Office régional de la santé de Winnipeg. Soyez le bienvenu, docteur, à Questions Contagieuses.
Lagacé-Wiens : Bonjour.
Harp : Et bien, une des questions les plus fréquemment posées par les patients et professionnels de la santé est la suivante: «Je pars pour le Mexique bientôt, devrais-je annuler mon voyage en raison de Zika?». Cette question peut autant être posée par des femmes enceintes que par leurs partenaires. D’après vous, comment devraient réagir les professionnels de la santé face à cette question?
Lagacé-Wiens : C’est une très bonne question parce qu’elle représente précisément ce qu’on reçoit du secteur. Je voudrais d’abord aborder la question en parlant des risques, et ensuite de la perception que les gens ont de ces risques. Une fois les implications bien comprises par les voyageurs, on se doit de les laisser prendre leur propre décision.
Donc, mettons les choses en perspective, les données reçues de l’Amérique du Sud, et plus particulièrement celles du Brésil, l’épicentre d’activité où de vastes éclosions ont été signalées, semblent indiquer que pour un séjour d’un mois, notre chance de se faire infecter par Zika est d’environ 1 sur 1 000. Bien que les données provenant des autres parties du continent ne soient pas très bonnes, on peut croire que les taux seront moins élevés en s’approchant du Mexique et des Caraïbes. On peut y penser de cette façon comme point de départ. Et donc, si vous voyagez pour quelques semaines, votre risque d’infection à Zika serait de 1 sur 2 000, ou même de 1 sur 4 000. Et si vous ajoutez cette information au risque de développer des symptômes, qui est seulement d’environ 20 pour cent chez les personnes infectées, puisque 80 pour cent des infections sont asymptomatiques, le risque paraît minime. Je crois que «négligeable» est une excellente façon de le décrire. Pour le canadien moyen qui voyage dans un pays touché, le risque de conséquences sévères suivant une infection à Zika est tout-à-fait négligeable.
Et en ce qui à trait à la question de la grossesse, soit pour les femmes enceintes ou celles qui planifient de le devenir, c’est une catégorie à part. Les données qu’on a présentement associent l’infection à Zika à des complications durant la grossesse avec des risques d’infection congénitales et de malformations foetales. Les données commencent à arriver et sont donc encore très limitées, mais les meilleures données disponibles nous informent qu’environ une femme sur quatre, et jusqu’à une femme sur trois, enceinte et souffrant d’une infection symptomatique peut développer des complications avec des conséquences malheureuses pour le fœtus. On parle ici d’anomalies congénitales reliées à cette infection. Ce lien n’a pas encore été formellement prouvé mais il existe tout de même des données incriminant l’infection à Zika dans le développement de ces malformations congénitales.
Donc, si on prend la situation dans son ensemble, ce qu’on peut donner comme information au patient c’est un bilan réaliste du risque général d’infection et du risque de développer une malformation dans le cas où une femme enceinte contracte le virus durant la grossesse. Une fois informée, je crois qu’une femme enceinte peut alors prendre une décision éclairée en fonction de sa perception du risque et de la façon dont elle se sent. De la même manière, ceux qui voyagent et qui ne sont pas enceintes, et donc tombent dans la catégorie où le risque est négligeable, peuvent eux aussi prendre une décision éclairée.
Harp : Lorsqu’il s’agit de la grossesse et de Zika, je me rends compte qu’on en apprend de plus en plus à chaque semaine et même à chaque jour, mais je me demande ce qu’on sait des risques durant le premier, deuxième, ou troisième trimestre de la grossesse pour celles qui voyagent dans les zones infectées.
Lagacé-Wiens : Oui. C’est une autre très bonne question. Il y a une ou deux semaines, on vous aurait dit que plus tôt vous vous infectiez durant la grossesse, plus important était le risque de voir des conséquences fâcheuses se produire. Donc, le premier trimestre verrait un risque élevé ; suivi d’un risque intermédiaire au deuxième trimestre; et enfin un risque faible au troisième trimestre. Et cela correspond à bon nombre d’infections avec des conséquences similaires. Cela étant dit, les données les plus récentes en provenance du Brésil démontrent – et cette information est très récente – qu’un bon nombre de femmes ayant presque atteint la fin de leur grossesse développent des anomalies congénitales supposément en raison de l’infection à Zika. Pour l’instant, nous n’avons pas encore réussi à établir de façon infaillible la relation entre l’infection à Zika et le développement de malformations foetales, mais ce qu’on sait indique que le développement de malformations peut se produire peu importe le trimestre de la grossesse, et je crois bien que c’est tout qu’on peut en dire pour l’instant.
Harp : Ce qui pourrait nous aider à bien comprendre les risques encourus par l’infection au virus Zika serait peut-être de les comparer à d’autres conditions affectant la santé. Pourriez-vous faire ça pour nous ?
Lagacé-Wiens : Bien sûr. J’aime répondre à cette question parce que cela nous aide à mettre les choses en contexte, et j’aime me servir comme exemple d’autres risques associés au voyage à l’étranger. Un des plus communs dont on entend souvent parler est celui du paludisme. Pensons par exemple au paludisme, et aux zones où on y trouve une forte transmission, disons en Afrique subsaharienne, parce que nous voyons souvent des voyageurs qui s’y rendent… donc si j’essaie de comparer la transmission de la malaria avec la transmission de Zika… le risque de contracter la malaria dans un pays avec un taux élevé de transmission est en fait vingt fois plus élevé que le risque de contracter Zika.
De même, si on pense au virus de la dengue – et il est intéressant de remarquer que celui-ci fait parti de la même famille que Zika et est transmis par les mêmes moustiques au Brésil – et curieusement le Brésil a vu une hausse dramatique du nombre d’infection à la dengue durant la dernière année, ce qu’ils ont essentiellement qualifié d’éclosion très sérieuse mais qui a été éclipsé par l’éclosion à Zika, bien que je l’aie gardé en tête… donc au Brésil, votre risque de contracter le virus de la dengue est semblable à celui de contracter le virus Zika. Il y un mois, donc, que je lance des chiffres comme 1 sur 1 000, et malgré que ce soit difficile d’obtenir des données précises, c’est très probable que les chiffres soient similaires pour Zika et la dengue.
Mais pour le voyageur moyen, la différence c’est que la dengue peut être très sérieuse, et même, fatale. Même avec les meilleurs soins, on constate que 2 à 3 pour cent des gens qui s’infectent à la dengue en meurent.
Quand on met ça en contexte avec une infection où 80 pour cent des gens n’ont aucun symptôme et que l’autre 20 pour cent présentent des symptômes bénins, qui sont semblables à ceux de la grippe et se résoudront en cinq à sept jours, on commence vraiment à remettre les risques en perspective. Et quant à la grossesse, cela ajoute certainement un élément à l’équation, et comme souvent les femmes enceintes sont moins tolérantes aux risques, pour des raisons fort compréhensibles, elles choisiront souvent de ne pas voyager.
Harp : Dr Lagacé-Wiens, je vous remercie.
Lagacé-Wiens : Ça m’a fait plaisir.
Balakumar : C’était le Dr Philippe Lagacé-Wiens, un assistant-professeur à la département de Microbiologie médicale et d’infectiologie de l’Université du Manitoba ; il est aussi conseiller à la Clinique de santé voyage et de médecine tropicale pour L’Office régional de la santé de Winnipeg.
Avez-vous une question de santé publique sur Zika dont vous souhaiteriez connaitre la réponse? Envoyez-nous un courriel à ccnmi@umanitoba.ca.
Harp : Et voici comment se termine la première édition de « Infections en questions », réalisée par Le Centre de collaboration nationale des maladies infectieuses. La production de cette baladodiffusion a été rendue possible grâce à la contribution financière de L’Agence de santé publique du Canada.
Balakumar : Veuillez noter que les points de vue exprimés ici ne reflètent pas nécessairement ceux de l’agence. L’Université du Manitoba est l’organisation d’accueil du CCMNI.