Explorer les déterminants de la syphilis chez les femmes autochtones à Winnipeg : Marcia Anderson

Introduction

Dans ce balado, Dre Marcia Anderson, médecin-hygiéniste et responsable médical de l’office régional de la santé de Winnipeg traite des déterminants de la transmission de la syphilis chez les femmes autochtones et explique comment les prestataires de soins de santé publique et de soins primaires peuvent contribuer à ralentir ou à freiner la progression de la syphilis dans cette communauté.

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TRANSCRIPTION

Partout au Canada, la syphilis continue de toucher principalement les hommes ayant des rapports sexuels avec des hommes, et dans les provinces de l’Ouest, les taux sont également élevés chez les femmes hétérosexuelles. Dans cette conversation, la dernière de cette série pour le Centre de collaboration nationale des maladies infectieuses, et publiés en partenariat avec le Centre de collaboration nationale de la santé autochtone, nous entendrons Dre Marcia Anderson, médecin-hygiéniste et responsable médicale de l’office régional de la santé de Winnipeg. Elle y aborde les facteurs de transmission de la syphilis chez les femmes autochtones et ce que peuvent faire les prestataires de soins de santé publique et de soins primaires pour freiner ou arrêter sa progression. Dre Anderson s’est entretenue avec Jami Neufeld du CCNMI.

Jami Neufeld : Comment expliquez-vous les circonstances contribuant à l’épidémie de syphilis chez les femmes autochtones de Winnipeg et du Manitoba?

Dre Marcia Anderson : À mon avis, il est important de réfléchir à l’augmentation actuelle des taux de syphilis, à notre façon de voir les résultats pour la santé des Autochtones et, plus précisément, à l’appel à l’action numéro 18 de la Commission de vérité et réconciliation Canada qui dit que nous devrions « reconnaître que la situation actuelle sur le plan de la santé des Autochtones au Canada est le résultat direct des politiques des précédents gouvernements canadiens ». Donc, pour cerner ce phénomène, voici quelques-uns des facteurs : en premier lieu, j’aimerais préciser qu’il n’y a aucun déterminant inhérent aux femmes autochtones qui les exposent à un risque plus élevé et qu’il n’y a pas de facteur génétique, ni de déficience immunitaire. Ce sont plutôt des éléments structuraux de la société qui exposent les femmes autochtones à un risque plus élevé d’obtenir des résultats négatifs pour la santé. Parmi les autres facteurs associés aux taux élevés en ce moment chez les femmes autochtones de Winnipeg, citons l’utilisation de méthamphétamine et l’exploitation ou le commerce sexuels comme moyen de survie.

Il est donc important de bien comprendre pourquoi les femmes autochtones courent davantage de risques d’être infectées, dans ces circonstances. Plus précisément, nous devons regarder la manière dont la colonisation a produit des taux de pauvreté plus élevés chez les peuples autochtones et réfléchir aux conséquences de la colonisation sur les genres par la caractérisation des personnes autochtones, par les répercussions de l’Église et par les systèmes patriarcaux qui ont mis les femmes plus à risque, en danger ou en marge de la société. Il faut que réfléchissions à la manière dont les inégalités des chances en matière d’éducation exposent les femmes autochtones à un risque plus élevé. C’est donc ce type d’impact structurel qui conduit à des résultats sanitaires en aval. Entre autres choses, nous devons vraiment être conscients que beaucoup de ces femmes affirment ne pas avoir de liens solides ou n’en avoir aucun avec des organismes ou des services dont elles auraient besoin. Une hypothèse, à mon avis, c’est qu’elles peuvent avoir eu des interactions négatives par le passé et, en conséquence, avoir un faible niveau de confiance dans les organismes conventionnels.

Il se peut donc que des expériences familiales vécues au pensionnat dans les années 1960 ou avec des organismes de protection de l’enfance, toutes décrites comme exposant les femmes à un risque plus élevé, aient conduit à la marginalisation et à des impacts en aval, tels que la consommation de drogues ou une mauvaise santé mentale. Voilà donc quelques éléments de réponses auxquels nous devons nous attarder pour comprendre ces taux élevés.

Neufeld : Quels facteurs les praticiens de soins primaires et le personnel de santé publique doivent-ils connaître et comprendre à propos des risques de syphilis chez les femmes autochtones dans les communautés avec lesquelles vous travaillez?

Dre Anderson : L’un des points les plus importants, c’est que les praticiens de la santé et des services sociaux qui rencontrent ces femmes doivent les aborder avec respect et gentillesse, sans discrimination, stigmatisation, ni jugement. Nous devons reconnaître que ces femmes font de leur mieux, qu’elles ont été grandement désavantagées par la société et qu’elles supportent en quelque sorte, de manière individuelle ou personnelle, le coût de multiples couches d’inégalités formées dans le contexte historique et actuel. Dans toute rencontre, il est très important que les fournisseurs de services s’efforcent d’instaurer ou de rétablir une relation de confiance. J’ai souvent dit que la création d’un lien est le premier résultat à atteindre. Il est donc probable que ces femmes aient besoin de plusieurs types de services différents : avoir un logement stable et de l’aide pour en trouver un. Elles peuvent être sans emploi et avoir besoin d’aide pour en trouver un.

Elles peuvent aussi se retrouver dans des contextes de très grande insécurité alimentaire, avoir des enfants qui sont pris en charge par les services à l’enfance ou des besoins évidents de soins de santé, puisque nous parlons de femmes atteintes de syphilis. Si la première interaction pour obtenir un traitement pour la syphilis est négative, elles vont se désengager davantage, n’est-ce pas? Il est très important que les prestataires de soins n’abordent pas un cas en jetant le blâme sur la personne ou l’acte individuel, comme une relation sexuelle sans protection qui favorise la transmission d’ITSS comme la syphilis, mais plutôt d’aborder ces femmes dans tout leur contexte. Il faut que les prestataires de soins utilisent les connaissances, les outils et les ressources dont ils disposent pour soutenir ces femmes et, comme je l’ai mentionné, avec gentillesse et respect, sans porter de jugement.

Neufeld : En ce qui concerne l’épidémie actuelle de syphilis chez les femmes autochtones de Winnipeg et du Manitoba, quel rôle jouent l’organisme Ka Ni Kanichihk et d’autres organismes autochtones dans la prestation de soins, de services ou d’information?

Dre Anderson : Vous savez, Ka Ni Kanichihk reçoit du financement de l’Agence de la santé publique du Canada afin de mettre au point un modèle de traitement des ITSS dans le respect de la culture. Il s’agit d’un organisme communautaire. Ce n’est pas un service de santé, donc je n’irais pas jusqu’à dire qu’ils ont un rôle à jouer dans le dépistage et le traitement directs, mais je pense que ces organisations peuvent jouer plusieurs rôles essentiels. En premier lieu, comme j’ai soutenu le développement de ce projet avec eux, j’ai passé en revue une grande partie de la documentation. Il est évident que les personnes autochtones préfèrent avoir accès à des services dirigés et conçus par d’autres Autochtones, car elles s’y reconnaissent. Elles se sentent culturellement en sécurité; elles ont un sentiment d’appartenance. Elles ne se sentent pas étrangères quand elles reçoivent des soins pour une maladie ou une affection qui les place en état de vulnérabilité. Ka Ni Kanichihk ou d’autres organismes communautaires autochtones peuvent être des intermédiaires très importants. Ces organisations sont plus susceptibles d’avoir la confiance des personnes autochtones de la communauté que les organisations conventionnelles, telles que l’office régional de la santé de Winnipeg.

Les organismes autochtones peuvent également jouer un rôle dans l’éducation en amont et, de manière générale, ils contribuent à la prestation de services de réduction des méfaits et de prévention, qu’il s’agisse d’éducation ou de distribution directe de préservatifs, d’aiguilles stériles ou de tout autre matériel de réduction des méfaits. Nous devons également réfléchir à la manière dont ils peuvent faciliter le rapprochement ou des interactions cliniques individuelles. Une partie du projet sur lequel nous travaillons en ce moment concerne le développement de ce modèle, puis l’éducation et la formation, ainsi que l’accompagnement de cliniques pour mettre en place un modèle respectueux de la culture. Ce projet inclut un cycle de rétroaction ou d’évaluation qui permet aux bénéficiaires des services de les évaluer comme culturellement sûrs ou non. Voilà donc quelques-uns des rôles qu’ils peuvent jouer, à mon avis. Aussi, il est très important, en matière de santé publique et de prestation de soins à l’avenir, de tenir compte du fait que bon nombre de ces petits organismes autochtones à but non lucratif ou communautaires font du travail en amont de la santé publique depuis des années déjà.

Ceux d’entre nous qui sont dans les organisations conventionnelles doivent réfléchir davantage à la manière dont nous distribuons nos ressources; qu’il s’agisse de nos connaissances, de nos ressources financières ou de nos outils; il faut donner à ces organismes communautaires une plus grande autonomie et les aider à faire ce travail de première ligne pour le public.

Neufeld : Que devraient ou pourraient alors faire le personnel de santé publique et les prestataires de soins de santé primaires pour collaborer avec des organismes tels que Ka Ni Kanichihk afin de ralentir ou d’arrêter la progression de la syphilis chez les femmes et dans la communauté?

Dre Anderson : La première chose à dire à ce sujet et pour être vraiment clair, c’est que nous constatons actuellement une augmentation de la syphilis. Or, les femmes autochtones ont toujours eu des taux plus élevés d’ITSS, le chlamydia ou la gonorrhée par exemple. Depuis plusieurs années, on retrouve chez ces populations le plus grand nombre de nouveaux cas d’infection au VIH. Il s’agit maintenant de la syphilis, mais les facteurs qui maintiennent perpétuellement les femmes autochtones à haut risque n’ont pas changé. Donc, la maladie en soi est accessoire; il faut vraiment mettre l’accent sur les facteurs en amont qui exposent les femmes autochtones à de plus grands risques. Nous devons examiner ces déterminants structurels et, comme personnel de santé publique, nous concentrer sur nos rôles en matière d’équité en santé et de défense des droits pour tenter d’éliminer ou de traiter les facteurs structurels qui exposent les femmes autochtones à plus de risques. Donc, j’avais déjà mentionné le logement; selon le contexte, se porter à la défense de logements sociaux abordables peut être la voie à suivre.

D’autres facteurs en amont tels que le revenu de base, la sécurité alimentaire, l’éducation et l’égalité des chances en emploi comptent parmi les déterminants. Les choses qui aident les femmes à sortir de la marge, là où elles peuvent réellement avoir des ressources, devenir autonomes pour être mieux outillées afin de prendre en main leur propre santé. Donc, qu’on parle de la syphilis, du VIH ou du diabète, l’action pour nous est la même, et il faut travailler sur les facteurs en amont qui exposent les femmes à un risque plus élevé d’impact négatif sur la santé.

Neufeld : Selon vous, quels sont les moyens de soutenir les femmes autochtones atteintes de syphilis ou qui risquent de le devenir, et de quel soutien ont-elles besoin?

Dre Anderson : La réponse n’est pas simple. Dans un contexte de prestation de services, il faut traiter les gens avec respect et dignité et faire tout ce qui est en notre pouvoir pour répondre à leurs besoins, là où ils se trouvent, et non pas avec l’idée de faire le minimum. Je pense que c’est une première chose. Nous devons tous être engagés, démocratiquement parlant. Plusieurs élections municipales sont en cours, et des élections provinciales et fédérales pointent à l’horizon dans les deux prochaines années. À mon avis, il est important de se renseigner sur les types de politiques sociales qui exposent les femmes autochtones à un risque plus élevé ou contribueraient à atténuer certains désavantages structurels auxquels les femmes sont actuellement confrontées. Il faut demander aux candidats quelles sont leurs positions par rapport à ces politiques. Ensuite, demander des comptes aux gouvernements par le biais du vote et de l’engagement civique. Il est très important que nous participions tous à changer le discours public sur les femmes autochtones.

On a vu ce qui s’est passé dans les médias sociaux à propos de ce magasin aux États-Unis appelé Spunky Squaw. Le terme squaw est bien entendu une insulte raciale qui a été utilisée pour hypersexualiser les femmes autochtones et qui a également pour connotation que les femmes peuvent être « jetées après usage ». Quand on pense à l’enquête nationale sur les femmes autochtones disparues et assassinées, on constate que les femmes autochtones sont plus à risque que toute autre population du Canada de disparaître et d’être assassinées, et il en va de même aux États-Unis. Ces discours sont vraiment dangereux et aggravés par des facteurs comme une protection inégale en vertu de la loi. On a même vu récemment le service de police de Winnipeg s’excuser auprès des femmes de ne pas avoir pris des cas de disparition au sérieux. Nous devons donc tous contribuer à changer le discours, à changer les noms des mascottes, des magasins qui hyper-sexualisent les femmes autochtones, car cela fait également accroître les risques. Tant que nous tiendrons un discours public qui traite les femmes autochtones comme inférieures, comme des squaws hypersexualisées et « jetables », nous continuerons de voir des politiques qui n’offrent pas de protection réelle ni de chance égale aux femmes autochtones. C’est, selon moi, l’envers de la médaille, et nous avons tous une responsabilité à cet égard.

Cette conversation avec Dre Marcia Anderson, médecin autochtone de Winnipeg conclut le troisième épisode de notre série sur la syphilis et la santé publique. Produit par le Centre de collaboration nationale sur les maladies infectieuses, publiés en partenariat avec le Centre de collaboration nationale de la santé autochtone, ce contenu a été rendu possible grâce à une contribution financière de l’Agence de la santé publique du Canada. Notez que les opinions qui y sont exprimées ne représentent pas nécessairement celles de l’Agence.

L’organisation hôte du CCNMI est l’Université du Manitoba. Visitez ccnmi.ca pour en savoir davantage.