TRANSCRIPTION
Rick Harp : Bienvenue à Infections en question, une baladodiffusion sur la santé publique réalisée par le Centre de collaboration nationale des maladies infectieuses. Le CCNMI aide à faire le lien entre les personnes qui posent des questions sur les maladies infectieuses et celles qui offrent des réponses à ces questions.
Bonjour. Je m’appelle Rick Harp.
Shivoan Balakumar : Et ici, Shivoan Balakumar.
Cet épisode, nous poursuivrons le sujet du virus Zika. Jusqu’ici, dans notre série, nous avons discuté des risques posés par le virus aux femmes enceintes qui voyagent et le risque de transmission sexuelle du virus Zika. Cette semaine, on se penchera sur le lien bien établi entre l’infection à virus Zika et les déficiences congénitales telles que la microcéphalie.
Harp : Le Dr Philippe Lagacé-Wiens est professeur adjoint du programme de microbiologie médicale et des maladies infectieuses de l’Université du Manitoba. Il agit également à titre de conseiller pour la clinique santé-voyage et de médecine tropicale de l’Office régional de la santé de Winnipeg.
Rebienvenue à Questions en infection, docteur.
Dr Philippe Lagacé-Wiens : Merci.
Harp : Donc, cette semaine, on abordera la question qui revient toujours. Je comprends qu’on vous en a déjà parlé et qu’on revient plus ou moins toujours à la question suivante : « J’ai entendu aux médias que la microcéphalie n’est pas entraînée par le virus Zika, mais plutôt par un produit pesticide utilisé pour contrôler les moustiques qui entraîne ce genre de déficiences congénitales. » Comment répondez-vous à cette question?
Lagacé-Wiens : Bon… bonne question. Il est certain que lorsque cette épidémie de microcéphalie a fait son apparition en plus des troubles neurologiques d’abord signalés, certains cherchaient d’autres explications à part le virus Zika puisqu’en premier, c’était une des causes probables avancées. Et je crois que cela fait preuve d’un degré de scepticisme sain qui pousse la recherche scientifique en étudiant d’autres explications possibles. Et, sans doute, les pesticides et les métaux lourds, l’alimentation ou une mauvaise alimentation ont tous été cités comme facteurs possibles liés à cette épidémie de microcéphalies, mais je crois qu’en grande partie et à l’heure actuelle, une telle discussion nous éloigne de la véritable cause, qui est presque certainement une infection congénitale entraînée par le virus Zika.
Et la raison pour laquelle je me prononce ainsi c’est que les données probantes les plus récentes découlant d’études cas-témoin du Brésil qui portent sur les femmes enceintes de diverses régions infectées par le virus Zika ont aussi tenu compte de groupes de femmes provenant de diverses classes socioéconomiques dans le but de tenter de déterminer si l’épidémie était associée à l’effet du virus Zika, aux facteurs socioéconomiques ou régionaux. On a trouvé que les déficiences congénitales relèvent de tous les groupes n’importe le statut socioéconomique ou la région du pays, ou encore, le lieu de résidence, soit les îlots insalubres comparativement aux quartiers plus favorisés. Par conséquent, ces faits ne nous mènent certainement pas à croire qu’il s’agit d’autres facteurs environnementaux.
Une autre chose, bien sûr, c’est que la plupart de ces produits pesticides ont été utilisés pendant des décennies et un tel lien n’a pas été établi. Jusqu’à cette date, on les avait utilisés dans d’autres pays également. Beaucoup de ces produits ont fait l’objet de nombreuses études et on n’a trouvé aucun lien, ce qui renforce le postulat qu’il s’agit du virus Zika. De plus, les facteurs alimentaires et les métaux lourds ont aussi été présents bien avant la description des caractéristiques de l’épidémie.
Ce n’est pas dire que certains facteurs ne pourraient pas aggraver l’effet de l’infection. En d’autres mots, une mauvaise alimentation et des carences en folates peuvent être associées aux déficiences neurologiques et aux anomalies de développement cérébral. Et le fait d’être atteint d’une infection à virus Zika en plus pourrait aggraver les effets de l’infection, mais une majeure partie de ces anomalies sont probablement attribuables à l’infection.
Une autre question posée par de nombreuses personnes est comment expliquer que la Colombie, le pays voisin, n’a toujours pas signalé de cas de microcéphalie associés aux infections à virus Zika. Et c’est certain qu’on surveille cette situation constamment et on pourrait apprendre dans une semaine ou deux, ou dans environ un mois, qu’il existe d’autres données probantes nous laissant croire qu’il y a un lien. Et on ne peut écarter la possibilité que des modifications ou des mutations du virus de la variante du Brésil aient eu lieu et qu’elles mènent à un risque élevé des infections congénitales, si une variante existe. Si une telle hypothèse serait prouvée, c’est-à-dire l’existence d’une variante au Brésil qui se compare à la variante de la Colombie, parce qu’on sait que ces virus subissent des mutations de façon rapide et facile, et qu’ils adoptent de nouvelles propriétés très rapidement, une plus grande probabilité d’infection congénitale pourrait certainement être une de ces propriétés virales qui, avec le temps, aurait subi des modifications.
Harp : Dr Philippe Lagacé-Wiens, je crois que c’est Mark Twain qui nous disait qu’un mensonge peut faire son chemin jusqu’à l’autre bout du monde avant même que la vérité ne s’enculotte le matin. Pourquoi croyez-vous que de telles suppositions et rumeurs persistent en dépit des fortes données probantes qui indiquent qu’il n’existe aucun lien entre les pesticides, la microcéphalie et le virus Zika?
Lagacé-Wiens : Bien, je crois, qu’en général, les êtres humains aiment expliquer les choses par des moyens sur lesquels ils exercent un contrôle au lieu de par des moyens sur lesquels ils n’exercent aucun contrôle. Donc, je crois qu’un tel raisonnement peut apaiser les personnes si elles croient que bien qu’il y ait un risque, elles sont en mesure de le contrôler; je peux modifier mon comportement et réduire ce risque. Et cette idée les met à l’aise.
Donc, je crois qu’il y a une tendance naturelle de penser ainsi, tandis que s’il s’agit plutôt d’un virus transmis par un moustique, malgré le fait qu’on puisse modifier certains facteurs, on ne peut réduire le risque à zéro. Et je crois que cela effraie les gens donc, ils tentent de trouver d’autres raisons pour expliquer leur façon d’agir. Par exemple, une personne qui tient vraiment à voyager peut reconnaître qu’il existe un risque, mais qu’en voyageant à des endroits où on n’utilise pas de pesticides ou en ne buvant pas l’eau de la localité, elle ne serait pas à risque. Et ainsi de suite.
En terminant, le meilleur conseil que je puisse vous donner c’est qu’on peut modifier certains risques même lorsqu’il s’agit d’infection transmise par moustiques. On peut utiliser un répulsif anti-moustique et porter des vêtements amples et de couleurs pâles. Dans le cas du virus Zika, on recommande les moustiquaires de lit pour les siestes pendant la journée ou en dormant la nuit. Ce sont tous des moyens efficaces et je crois que si on les adopte, on en tirera tous avantage. Mais c’est comme je disais, je crois que de nombreuses personnes tenteront de se rassurer en choisissant de croire qu’il existe d’autres risques qu’elles peuvent éviter plus facilement.
Harp : Dr Lagacé-Wiens, je vous remercie encore une fois.
Lagacé-Wiens : Ça m’a fait plaisir.
Balakumar : Il s’agissait du Dr Philippe Lagacé-Wiens, professeur adjoint du programme de microbiologie médicale et des maladies infectieuses de l’Université du Manitoba. Il agit également à titre de conseiller pour la clinique santé-voyage et de médecine tropicale de l’Office régional de la santé de Winnipeg. Avez-vous une question en matière de santé publique liée au virus Zika que vous aimeriez qu’on aborde? Envoyez-la nous par voie de courriel à l’adresse nccid@umanitoba.ca.
Harp : Infections en question se veut une baladodiffusion réalisée par le Centre de collaboration nationale des maladies infectieuses. La réalisation de cette baladodiffusion a été rendue possible grâce à une contribution financière de l’Agence de la santé publique du Canada.
Balakumar : Veuillez noter que les points de vue exprimés ne sont pas forcément ceux de l’Agence. L’organisme parraineur du CCNMI est l’Université du Manitoba. Pour en savoir davantage, consultez le site Web du Centre au ccnmi.ca.