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TRANSCRIPTION
Rick Harp : Bienvenue à « Infections en questions », une série de baladodiffusions sur la santé publique réalisée par le Centre de collaboration nationale des maladies infectieuses. Bonjour, je m’appelle Rick Harp. Aujourd’hui encore, nous allons aborder le sujet de la tuberculose avec Shivoan Balakumar. Bonjour, Shivoan.
Shivoan Balakumar : Bonjour, Rick.
Harp : L’entretien que vous nous présentez aujourd’hui découle d’un autre contact que vous avez noué durant la conférence End TB 2017 organisée récemment par la Région Amérique du Nord de l’Union internationale contre la tuberculose et les maladies respiratoires (UICTMR). Qui est notre invité cette semaine?
Balakumar : Le Dr Dennis Falzon est responsable médical au département Halte à la tuberculose de l’Organisation mondiale de la santé à Genève. Je l’ai rencontré brièvement lors de son passage à Vancouver. Nous avions convenu de reprendre contact après son retour en Suisse. Notre conversation a d’abord porté sur les principes qui orientent la stratégie de l’OMS dans le but de mettre fin à la tuberculose.
Dr Dennis Falzon : La stratégie de l’OMS pour mettre fin à la tuberculose repose sur une entente, entre l’OMS et ses partenaires, visant à réduire le taux d’incidence de la maladie dans le monde à des niveaux semblables à ceux qu’on voit à présent dans les pays développés seulement. Pour parvenir à réaliser cet objectif en l’espace de 20 ans (à compter de 2015), il faudra mobiliser toute une panoplie de ressources diversifiées et recourir à de nouvelles méthodes.
Les technologies numériques—principalement la télésanté et la santé mobile, si on arrivait à s’en servir plus efficacement—pourraient soutenir de différentes façons les efforts investis par les individus, les programmes et les institutions donatrices pour tenter de freiner la menace que pose la tuberculose dans le monde.
Rappelons à nos auditeurs qu’on estime le nombre de nouveaux cas de tuberculose à 10,4 millions par année. Près de 600 000 concernent des formes de tuberculose pharmacorésistante très difficiles à traiter et qui sont transmissibles elles aussi. Elles peuvent se propager à d’autres personnes et cela se produit effectivement.
Par conséquent, tous les moyens susceptibles d’être mobilisés pour empêcher la maladie de s’étendre et de causer des morts évitables valent la peine d’être étudiés. Voilà pourquoi l’OMS s’intéresse à ces technologies en rapide évolution, car elles pourraient s’avérer utiles de différentes façons.
Balakumar : Je vous rappelle que notre invité est le Dr Dennis Falzon, du département Halte à la tuberculose de l’OMS à Genève. J’ai demandé au Dr Falcon de nous livrer ses réflexions sur l’état des connaissances en ce qui touche la surveillance de la prise en charge grâce aux nouvelles technologies comme le textage, le traitement sous vidéosurveillance et le suivi électronique de la prise des médicaments.
Falzon : Je pourrais peut-être rappeler brièvement en consiste chacune de ces trois approches.
En premier lieu, il y a les technologies faciles d’accès, tant dans les milieux pauvres que les milieux riches. Celles-ci fonctionnent même avec un téléphone intelligent ordinaire—à tout le moins pour le textage et la vidéosurveillance; et on peut envoyer des textos sur n’importe quel type de cellulaire.
C’est pourquoi il y a davantage de chances que ces moyens soient utiles, et à grande échelle. C’est ce qui a motivé un certain nombre de personnes à entreprendre des études sur le sujet. Si bien que… je crois que ces trois méthodes font toutes l’objet d’essais contrôlés randomisés en ce moment.
Les études sur les textos utilisés comme simple rappel ont plus ou moins conduit jusqu’ici à des résultats négatifs. On parle ici de la méthode qui consiste à envoyer tous les matins un texto au patient pour lui rappeler de prendre son médicament antituberculeux. Ce n’est pas très productif en ce sens que ça n’augmente pas vos chances de guérir. L’une des raisons pourrait être la longueur du traitement, qui dure six mois au bas mot. On peut penser que l’effet de nouveauté du texto matinal s’estompera au bout de quelques semaines. Il est donc probable que son efficacité diminue après un certain temps.
C’est ce genre de constat qui a amené des gens à réfléchir un peu plus longuement aux autres possibilités que pourraient offrir les textos, hormis celle de délivrer un message à sens unique au patient. On s’est intéressé à la bidirectionnalité du textage, par exemple l’idée d’envoyer un texto au patient en lui demandant de nous téléphoner ou de nous répondre. On constate que c’est plus efficace, du moins chez les patients qui prennent des antirétroviraux ou d’autres médicaments. Ce caractère bidirectionnel du textage mérite d’être exploré à l’avenir. Voilà pour ce qui est des textos, en gros.
En deuxième lieu, il y a le traitement sous vidéosurveillance, qui a fait l’objet ces dernières années de quelques études observationnelles aux États-Unis et en Australie. Les chercheurs n’ont pas relevé de changements notables quant à la probabilité ou les chances d’améliorer les résultats de santé. Par contre, quand on y réfléchit bien, la possibilité de remplacer des visites à l’hôpital ou à la clinique, pour un patient qui doit se déplacer tous les jours pour voir l’infirmière… Si on pouvait remplacer ces rendez-vous par une discussion virtuelle pendant laquelle le prestataire de soins pourrait observer le patient quand il prend son médicament et interagir avec lui, peut-être pas pour la durée entière du traitement, mais pour une partie, d’accord… parce qu’il est possible d’interagir directement ou d’envoyer une vidéo préenregistrée. Il y a deux façons de procéder. Cela permettrait une certaine souplesse, le patient n’aurait plus à se rendre à la clinique tous les jours, compte tenu de toutes les autres difficultés qu’il doit affronter, sans parler de l’épuisement, la divulgation possible de son identité, et ainsi de suite.
Cette approche présente des avantages : s’il s’avère que le traitement par vidéosurveillance est aussi efficace qu’une consultation en direct ou sur place, ça représente déjà un avantage. Des essais contrôlés randomisés sont en cours ou sur le point d’achever; l’un d’eux vient de se terminer—ses résultats seront publiés sous peu. Voilà donc pour le traitement par vidéosurveillance.
Quant à la troisième méthode, soit le suivi électronique, il semble qu’elle pourrait fonctionner dans un cadre donné—mais les données qui l’indiquent ne proviennent pas d’une étude. Un essai contrôlé randomisé à très grande échelle mené en Chine montre que ce genre de suivi améliore la prise des médicaments, sans toutefois démontrer d’incidence sur les résultats définitifs. Je pense qu’on envisage là bas de mener une nouvelle étude pour vérifier si cet effet se manifeste réellement.
Balakumar : J’ai posé au Dr Falzon une dernière question sur les pratiques exemplaires et les nouvelles technologies. Est-ce que l’évolution rapide de ces dernières complique la tâche de définir les premières?
Falzon : À mon sens, les pratiques exemplaires sont d’une grande utilité, car elles fournissent des informations et des aspects qui ne ressortent pas toujours des essais randomisés où l’on contrôle certaines variables—ce sont des conditions qu’on ne peut pas toujours reproduire dans la vie de tous les jours.
Il existe déjà des pratiques exemplaires pour un certain nombre de choses. En ce qui touche l’implantation de systèmes électroniques destinés à améliorer la gestion des données sur les patients, par exemple, on trouve de la documentation en Inde, en Chine et dans bien d’autres pays. Le fait de présenter le fruit de nos expériences avec ces systèmes, tant les aspects positifs que négatifs, et les problèmes qui surviennent, est très utile pour ceux qui envisagent de les implanter.
L’étude d’un certain nombre de technologies et de leurs applications n’est pas facile compte tenu des nombreux changements qui se produisent à l’époque même de leur mise en œuvre. Dans certains cas, c’est notre vision des choses qui se transforme : comme cette idée de la médecine de précision qui est en train d’apparaître, ou encore, les notions d’intelligence artificielle et d’apprentissage machine—on s’attend en effet à ce qu’elles transforment radicalement certains aspects de la prestation des soins, sinon tous, si j’ose dire, parce qu’elles pourraient même remplacer un certain nombre d’actes où l’élément humain prédominait jusqu’ici.
On peut penser par exemple à l’avènement de machines capables d’apprendre et de déceler des phénomènes avec une précision beaucoup plus grande que l’œil humain. On peut imaginer remplacer par des machines des activités qui dépendaient jusque-là de la compétence d’un professionnel ou d’un expert pour diagnostiquer une pathologie particulière, en décelant une anomalie sur une radiographie, une lamelle de microscope ou la peau d’un patient. Qui plus est, ce sont des machines capables d’apprendre. Si bien que lorsqu’elles se trompent, leurs erreurs sont enregistrées de façon à améliorer les interprétations subséquentes.
Ces développements vont transformer la façon dont nous pratiquons la médecine et notre conception des soins, de manière beaucoup plus radicale que, disons, le fait d’améliorer l’efficacité des bases de données ou l’apprentissage virtuel. En fait, ils sont plutôt en train de transformer les règles du jeu dans les domaines de la pratique médicale et de la santé publique.
Balakumar : C’étaient là les réflexions porteuses d’espoir sur lesquelles s’est conclu mon entretien avec le Dr Dennis Falzon du département Halte à la tuberculose de l’OMS à Genève.
Harp : Un grand merci, Shivoan.
Balakumar : Je vous en prie. Comme vous le savez, Rick, les questions que nous avons adressées au Dr Falzon au cours de cet épisode nous ont été transmises par des professionnels de la santé publique. Nous les remercions de leur collaboration.
Harp : Et merci à nos auditeurs d’avoir écouté « Infections en questions », une production du Centre de collaboration nationale des maladies infectieuses.
La production de cette balado a été rendue possible grâce à une contribution financière de l’Agence de la santé publique du Canada. Veuillez noter que les points de vue exprimés ici ne reflètent pas nécessairement ceux de l’Agence.
L’Université du Manitoba est l’organisation d’accueil du CCNMI. Pour en savoir plus, consultez ccnmi.ca.